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ordonnées par les chiens d’Infidèles. L’établissement du contrôle s’impose donc et presse parce qu’il doit accompagner, pour les rendre supportables, toutes les innovations introduites par le régime français. Et il s’agit là d’un travail énergique, serré, et non pas de quelques directions données à la tête du gouvernement indigène, selon la formule d’un protectorat plein de ménagemens. En se bornant à cela, on ne réussirait qu’à inspirer une vertueuse littérature administrative sans aucun effet sur le gouvernement des tribus. Pour que le contrôle soit efficace, il faut qu’il mette non seulement auprès des vizirs, mais encore auprès des caïds, un filtre européen qui épure un peu les eaux boueuses de l’administration chérifienne.

C’est bien ainsi que l’a compris la Résidence générale, mais l’œuvre est fort délicate. L’accomplissement d’une telle tâche, dans un tel milieu, suppose chez le contrôleur européen les plus rares vertus : le don peu commun de la curiosité sympathique, le goût de la responsabilité, la volonté d’agir qui donnent un effet aux bonnes intentions. C’est la réunion de bien grandes qualités de cœur et d’esprit. Si elles s’émoussent au contact d’une réalité décevante, si le sentiment du devoir se décourage de rechercher indéfiniment une vérité cachée, dans un tissu d’impostures contradictoires, si en même temps le corps se lasse de parcourir le bled monotone dans les boues de l’hiver ou la poussière chaude de l’été ; en un mot si, physiquement et moralement le contrôleur se « met en pantoufles, » il deviendra la chose d’indigènes prompts à s’emparer de son pouvoir et à l’exploiter. Un caïd souple, ne corrompant certes pas d’une manière grossière son contrôleur, mais l’enveloppant par des services continuels rendus à son indolence, flatteur par l’attitude d’un homme déférent qui sait « venir à la botte, » régentera le pays sous la responsabilité de l’Européen. D’autres fois, plus rarement sans doute, un indigène subalterne, un interprète, un chaouch par exemple, saura s’interposer entre son maître et la population. Malheur à ceux qui voudront résister à l’exploitation de ce caïd toujours cru ou de ce favori ! Leurs plaintes seront présentées comme une manifestation de rébellion. Elles les désigneront à des rigueurs qui les obligeront à s’éloigner. Et les indigènes, qui n’ont pas l’habitude de réclamer leur droit, mais de composer avec les abus, trouveront bon de se concilier le personnage par les moyens que l’on devine. De telles