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commencée du côté algérien en même temps que le reste du réseau et du côté marocain aussitôt que le rail atteindra Fez. La prospérité résultant des dépenses de premier établissement n’est donc pas près de finir pour les gens du Moghreb, et on peut espérer que cette richesse, d’abord artificielle, sera pour une bonne part consolidée ensuite par la mise en valeur du pays.

Toute l’ambiance du milieu nouveau va donc être pour apaiser les indigènes, leur faire oublier leurs rancunes dans le soin de leurs nouveaux intérêts. Les Marocains sont âpres au gain, — plus que les Algériens, assurent ceux qui ont pratiqué les deux peuples ; — de fait, on ne peut jamais les écouter parler sans remarquer que le mot flouss (argent) revient continuellement dans leur conversation. Ils sont donc aptes à se laisser entraîner dans le mouvement qui va secouer leur société, hier figée, émanciper l’individu du groupe, remplacer lentement devant nous les épis barbelés que nous présentait le vieux Moghreb par des grains qui s’en détachent et deviennent plus assimilables.

L’optimisme de certains matérialistes coloniaux se contenterait même facilement du développement économique pour nous assurer les sympathies des indigènes. Trop souvent, lorsque l’on veut y ajouter d’autres moyens, on se borne à parler d’écoles, d’hôpitaux et de dispensaires. Il est à peine nécessaire de prêcher pour de telles œuvres ; jamais le Parlement ne leur marchandera les crédits, qu’il s’agisse de les prendre sur des emprunts marocains ou des subsides de la métropole : 20 millions leur sont réservés sur le produit du premier emprunt du Protectorat. Leur efficacité est d’ailleurs certaine. L’école et aussi le dispensaire ajouteront certainement des suggestions heureuses à celles de l’argent dépensé par les Roumis. Sans partager l’attendrissement un peu candide de ceux qui escomptent la reconnaissance du peuple conquis, on ne saurait nier que les 312 000 consultations gratuites qui avaient été données à la fin de septembre (leur nombre a dû s’accroître beaucoup depuis : elles dépassaient 40 000 par mois) ne peuvent manquer d’atténuer nombre de malveillances. Les écoles surtout doivent renouveler l’air du vieux Moghreb. Leur enseignement est fort recherché, puisque les classes ouvertes encore en petit nombre aux enfans indigènes comptaient déjà 3 000 élèves, il y a quelques semaines.