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quelque cohésion à son armée, mais encore lui concilier les influences locales qui pouvaient soulever telle ou telle partie du pays. C’est-à-dire que la « politique makhzen » devait être accompagnée et aidée par la « politique de tribus. »

Ce chef-d’œuvre d’action indigène était particulièrement difficile à réaliser pour un pays qui a nos mœurs politiques : comment lui consacrer, lui laisser sans défaillances le personnel nécessaire et le libre usage de fonds dépensés en dehors de toutes les règles de la comptabilité publique ; comment avoir la patience et la suite que supposait une telle entreprise ? De fait, bien que tentante parce qu’économique et rassurante en comparaison- de l’intervention militaire, cette politique ne fut jamais vraiment tentée. Même aux heures où Abd el Aziz ou Moulay Hafid ; débordés par les événemens, s’abandonnaient entre nos mains, nous n’en eûmes que la velléité. Aussi, ne saurait-on dire que, au printemps 1911, alors que nous intervenions directement en marchant sur Fez, elle eût fait faillite : c’était notre volonté d’essayer sérieusement qui avait failli.


Mais qu’on le regrettât ou non, une fois que les circonstances eurent amené nos troupes au cœur du Maroc, le protectorat discret, progressif, si longtemps rêvé par notre diplomatie, était devenu impossible. Le Sultan continuait sans doute à s’imposer à notre respect comme entité consacrée par le droit international, mais il cessait d’en inspirer aux indigènes. Il ne pouvait mettre à notre service la seule autorité qu’il eût en dehors de la force de son guich et de ses tabors, sa qualité de calife de Dieu, parce que celle-ci s’évanouissait dès que le Sultan acceptait d’être subordonné aux Infidèles. Sans doute on a pu dire que le Sultan, souverain temporel accepté par une partie seulement du Moghreb, était une manière de pape reconnu comme tel par tout le pays, y compris le plus irréductible Siba. Mais il n’en résulte pas que son autorité religieuse pût s’employer à plier les croyans à notre domination. La loi d’où elle découle lui interdit de servir à un tel usage. Jamais le fondateur de la religion musulmane n’a prononcé le « rendez à César…, » formule qui autorisait un pouvoir temporel autre que celui des représentans de la religion et dans laquelle la possibilité de l’Etat laïque se trouvait en puissance. La loi de Mahomet n’admet