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monotones étapes, la végétation vaine et maigre des palmiers nains, jujubiers épineux et asphodèles, l’accompagne le long des pistes qui s’allongent indéfiniment vers des horizons sans arbres, ne laissant voir que de rares douars de basses chaumines dans le Nord et de huttes coniques dans le Sud. Partout sans doute l’anarchie ou le gouvernement presque aussi désastreux dont nous parlerons plus loin, contribuent à la pauvreté de ce peuplement. Seules ces causes expliquent que, dans la magnifique plaine du Sebou, des kilomètres de terres excellentes soient abandonnés à une forêt de chardons. : C’est le sic vos non vobis que le régime barbare de Makhzen a toujours infligé au malheureux cultivateur du Moghreb qui fait comprendre cet abandon. D’autre part, dans la montagne insoumise, Siba, la vendetta, les guerres de groupes raréfient presque partout la population par la pauvreté où elles la font vivre et les coupes incessantes qu’elles lui font subir : plusieurs voyageurs ont constaté que les hommes âgés y sont en petit nombre : les dieux de l’anarchie font à la majorité des mâles la faveur de mourir jeunes.

Mais sur d’immenses étendues aussi, l’âpreté de la terre ajoute à celle du milieu social pour ne laisser vivre que des tribus clairsemées Dans l’Ouest, par le travers de Casablanca et de Mazagan, à moins de quatre-vingts kilomètres de la côte, on sort des fameuses terres noires pour monter dans une région de vaine pâture qui rappelle fort les hauts plateaux d’Algérie. Plus au Sud, la plaine de Merrâkech, avec sa tranche de pluies de 28 centimètres seulement, n’offre guère à la culture que les terres plus ou moins irriguées par les eaux ruisselant de la montagne. Celle-ci est bordée d’une bande de jardins magnifiques : son « poitrail, » comme disent les indigènes. Là les eaux, qui ne pouvaient s’épandre en amont dans des vallées trop étroites, trouvent, captées et réparties par les travaux de plusieurs générations, des surfaces à vivifier. Mais ces vergers et ces champs sont peu de chose en comparaison des espaces dont la nudité fauve s’étend sous le ciel trop constamment serein du Haouz. Plus au Sud encore, sur le versant saharien de l’Atlas, les cultures ne sont plus que des lignes suivant le lit des oueds, et le pays pourrait se comparer à une peau de tigre aux rayures espacées.

Si le Maroc n’a que trois millions d’habitans, il faut se rappeler encore qu’il n’est pas colossal, en dépit des hyperboles de