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langage des affaires, en l’assaisonnant de sa malice ordinaire ; il leur démontra, chiffres en main, combien l’assistance du capital leur était nécessaire pour vivre et pour travailler.) Sans capital, pas de matière première, pas de salaires assurés.) Ce discours mérite de rester comme une des réfutations les plus simples et les plus vigoureuses qui aient jamais été faites des doctrines socialistes devant un auditoire populaire.


V

Ce n’était pas seulement le radicalisme qui avait changé de physionomie et de principes, mais le parlement tout entier dont l’esprit s’était renouvelé et qui n’obéissait plus à la même impulsion. Le vieil idéal de Gladstone était mort, aussi bien que celui de Disraeli. Une race nouvelle de politiciens était entrée à Westminster et y faisait loi. Au large programme des grands partis d’autrefois s’était substituée la politique cumulative des groupes dont chacun, poursuivant un but égoïste, vendait son concours au groupe voisin pour obtenir le sien. Jamais on n’avait tant parlé de l’Empire et jamais on n’avait pensé ou agi moins impérialement. En attendant qu’une grande personnalité d’homme d’Etat ou d’orateur s’élevât au-dessus de la médiocrité générale, la masse du public se désintéressait de ces débats où le talent de parole ne masquait plus la pauvreté des idées, la mesquinerie des intérêts, le manque de courage ou le manque d’idéal. Indifférente et incrédule, elle ne lisait plus dans ses journaux que les pronostics du champ de courses, la chronique du cricket et du golf. La démocratie montrait plus clairement tous les jours qu’elle est, par nature, antiparlementaire, sinon césarienne.

Labouchere devait se dire qu’il avait contribué à cette déconsidération du parlement en dénonçant, à coups d’épigrammes, les défaillances, les contradictions, les hypocrisies, les trahisons et les bassesses qu’il était le premier à apercevoir, le dernier à absoudre. Malgré tout, le parlementarisme avait été sa religion et, comme tous ceux qui ont perdu leur foi, il souffrait, à certains jours, de ne plus croire.

Lorsqu’on annonça sa retraite, il y eut un cri de surprise et presque un cri de douleur : « Le parlement sans Labey[1], ce

  1. En anglais, on écrit Labby, mais je modifie l’orthographe, pour laisser au mot sa vraie physionomie.