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Labouchere, et il fut, pendant quelque temps, l’homme le plus impopulaire d’un parti qui avait perdu, momentanément, toute sa popularité. Mais, quand la guerre fut finie et que le parti unioniste, sous l’inspiration de M. Chamberlain, eut introduit en tête de son programme la réforme douanière, les choses changèrent de face, et une nouvelle vague, en sens contraire, porta les libéraux au pouvoir. Northampton, à travers cette crise, était resté fidèle à son célèbre représentant et ne l’aurait certainement pas abandonné lorsqu’il s’agit de marcher au scrutin en janvier 1906. À Gladstone et à sir William Harcourt avait succédé Campbell Bannerman, lié de vieille date avec Labouchere. Allions-nous voir enfin le directeur de Truth investi d’un portefeuille ministériel ou ambassadeur d’Angleterre à Washington, seule fonction qu’il eût sérieusement ambitionnée ? Labouchere s’avisa qu’il avait soixante-quatorze ans et s’arrêta au seuil de la Terre promise.

Son âge, qu’il portait, il faut le dire, avec une légèreté et une vaillance extraordinaires, n’était pas la seule raison qui le faisait songer à la retraite. Tout entouré qu’il fût de visages amis et sourians, il commençait à éprouver cet étrange sentiment des vieillards qui ne se sont point transformés, alors que tout s’est transformé autour d’eux. Le radicalisme qui triomphait en 1906 n’était pas son radicalisme de 1880. Disons mieux : il en était la négation. Les radicaux de 1880 croyaient aux bienfaits illimités de la liberté ; les radicaux de 1906 à une centralisation également illimitée, à l’intervention de l’État en toutes choses ; par-là, ils préparaient l’avènement de la tyrannie collectiviste. Or, Labouchere ne voulait à aucun prix du socialisme. Un certain nombre de ses électeurs l’avaient interrogé à ce sujet et il était venu aussitôt vers eux, prêt à discuter, à écouter leurs raisons et à donner les siennes, sous cette forme pratique et familière dont il était coutumier. Il fut un peu étonné de trouver que ses adversaires avaient amené ce jour-là (l’expression est de lui) « leur plus gros canon pour le battre en brèche, » dans la personne du fameux Hyndman. Ce fut un étrange duel, où les deux champions employèrent l’un contre l’autre des armes différentes. M. Hyndman usa de toutes les ressources de cette rhétorique amère et sombre qui éveille les passions dans l’âme du peuple ; Labouchere causa avec ses électeurs comme un vieil ami. Il leur parla le