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découvert plus tard que la cause de cet ostracisme était dans des articles publiés par son journal. Quoi qu’il en soit, Gladstone prit aussitôt la plume et adressa au député de Northampton une lettre où il revendiquait toute la responsabilité de ses choix ministériels. Il ajoutait que, sous le double rapport de la capacité et de l’honorabilité, Labouchere ne laissait rien à désirer comme ministre possible. Alors, pourquoi l’exclure ? C’est ce qu’on se demanda, après comme avant la lettre du vieil homme d’État. Tout naturellement, Labouchere n’insista point et se contenta de féliciter ironiquement Gladstone du geste chevaleresque par lequel il couvrait sa souveraine. Il y a, dans toute cette affaire, une question personnelle et une question constitutionnelle qui s’embrouillent étrangement l’une dans l’autre. En attendant qu’elles soient éclaircies, il est permis de supposer que, si Gladstone eut à se priver du concours de Labouchere dans le Cabinet, il n’en fut pas extrêmement fâché. Ces deux hommes ne se sont jamais bien compris et ne pouvaient se comprendre. Gladstone voyait les dangers de l’humour en politique mieux qu’il n’appréciait les services que l’humour peut rendre à un ministre. Quant à lui, il en était totalement dépourvu. Je l’ai suivi dans plusieurs campagnes électorales et je suis obligé de constater que, quand il essayait d’user de la plaisanterie contre ses adversaires, ce n’est pas eux qui semblaient à plaindre. Comment eût-il aimé un homme qui employait cette arme en toute circonstance et dans toutes les questions ? Pouvait-il ignorer, d’ailleurs, que Labouchere n’avait pas de plus cher désir que de le voir abdiquer ?

Lorsque se produisit l’inqualifiable agression de Jameson contre la république du Transvaal, Labouchere fit partie de la commission mixte chargée d’examiner l’affaire et de faire la part des responsabilités. On sait que les travaux de cette commission aboutirent à un blâme assez vague contre les autorités anglaises du gouvernement sud-africain. Parmi les quinze membres de la commission, Labouchere constitua à lui seul une minorité qui réclamait la punition exemplaire de tous les complices petits ou grands, et il ne lui eût pas déplu d’y comprendre son ami d’autrefois, M. Chamberlain. Mais on lui refusa la communication de certains documens et, particulièrement, d’une lettre dont on a beaucoup parlé, mais que personne n’a lue, et qui avait été écrite, dit-on, quelques jours avant l’attentat,