Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 19.djvu/764

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

certains traits qu’il est d’usage, en Angleterre, de considérer comme nos attributs caractéristiques ? Je remarquerai, d’abord, qu’entre la branche française et la branche anglaise des Labouchere, s’interpose un siècle de Hollande, qui va de la Révocation de l’Édit de Nantes à la Révolution. Si, à travers ces migrations et ces dénationalisations successives, il subsistait quelque chose de la nature primitive, c’est le huguenot, le « réfugié » qui apparaîtrait dans Henry Labouchere. Or, il est, tout au contraire, le moins huguenot, le moins réfugié des hommes. Je reconnais qu’il est religieux à peu près comme Stendhal ou Mérimée, et que la bosse du respect chez lui est presque aussi développée que chez Paul-Louis ou chez Henri Rochefort. Mais il me serait facile de trouver à ces noms des analogues de l’autre côté de la Manche, car l’Angleterre a eu, elle aussi, ses professeurs de scepticisme et ses maîtres impertinens. Pourquoi ne pas en croire Labouchere lui-même lorsqu’il nous parle du plaisir que, tout jeune, il éprouvait à lire les lettres de Chesterfield à son fils et les écrits historiques et philosophiques de Hume ? Donc, voilà ses maîtres. Hume lui apprenait à ne pas croire et Chesterfield jetait sur cette incroyance l’élégant vernis de son siècle. Le radicalisme rapporté d’Amérique par Labouchere n’a rien à voir avec notre radicalisme. Et quant à son humour, il n’aurait pas fait les délices de deux ou trois générations, s’il n’avait pas été exclusivement britannique.

En somme, je le tiens pour Anglais, et très Anglais, Anglais d’un type qui n’est pas très rare, mais qui passe souvent inaperçu, lorsqu’il n’est pas accompagné de ce brillant esprit qui mettait en lumière et en relief tous les gestes et toutes les paroles de Labouchere.

Je serais fort embarrassé de dire quelle était, au juste, la nationalité de son grand-père, Pierre-César Labouchere, qui, fixé à Amsterdam, parlait l’anglais avec un fort accent français et le français avec un accent anglais également prononcé. En tout cas, c’était un habile homme, et la double manœuvre par laquelle, de petit employé qu’il était, il devint du même coup gendre de sir Francis Baring et associé de la grande maison Hope d’Amsterdam, ferait la fortune d’une comédie. Il fut chargé, en pleine guerre, par notre gouvernement, d’une négociation scabreuse avec le ministère anglais, où il trahit, plus