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mourans de cette musique, où parfois ne se glisse une secrète, une furtive pitié. Le premier acte s’achève. Les saintes liturgies ont cessé. L’impatient Gurnemanz a banni leur insensible témoin du sanctuaire, qui reste silencieux et vide. Alors tout semble perdu. Mais non : du haut des voûtes, un chant suprême descend, moins qu’un chant, un murmure, un soupir. Les hommes se sont tus, mais, tout bas, les pierres parlent encore. Plus fidèlement compatissantes et consolatrices, elles renouvellent, confirment la promesse mystérieuse, et ne désespèrent pas du salut.

Pitié, piété, ne serait-ce pas en vain que nous nous flattions tout à l’heure de les distinguer l’une de l’autre ? Les deux ordres de sentimens partout se mêlent ou plutôt s’amalgament ici. « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de toute ton âme, et ton prochain pour l’amour de Dieu. » De même que les deux préceptes n’en font qu’un seul, ainsi, dans les scènes religieuses de Parsifal se fondent ensemble la divine et l’humaine charité. L’histoire de la musique dramatique n’offre rien de pareil à ces deux tableaux sacrés. Le premier peut-être l’emporte par la nouveauté, par l’abondance et la richesse, par la composition et l’architecture. A la valeur individuelle des thèmes s’ajoute leur beauté réciproque, je veux dire celle qui résulte de leurs rapports divers : soit qu’ils se suivent, soit qu’ils se combinent, soit que par degrés ou par étages ils se superposent. Les uns forment de vastes périodes. Il en est d’autres plus brefs, et plus vagues aussi. La musique tantôt se développe et se donne carrière ; tantôt au contraire elle se réserve, et, pour que nous la comprenions alors, pour qu’elle nous émeuve, il lui suffit d’une insinuation, d’une réticence. Au lieu du parti, pris et de la rigueur, c’est l’éclectisme qui règne en cette scène. On respire sous ces voûtes un air libre. Elles sont même témoins d’étranges rencontres. Un maître de l’opéra français, du « grand opéra, » du « genre » que Wagner haïssait entre tous, un Meyerbeer peut-être aurait trouvé le thème de la marche des Chevaliers, avec sa carrure et son rythme pointé. L’accompagnement en triolets, — oh ! rien que l’accompagnement, — de certain chœur d’enfans, n’est pas très éloigné du style, voire de la formule de Gounod. Mais Wagner seul pouvait disposer ainsi les notes, ce peu de notes, étranges et suaves, qui forment la mystique promesse : « Durch Mitleid wissend, der reine Thor. » Nul autre que lui n’eût dégagé de certain Amen liturgique, en usage dans les églises de Dresde, assez de mystère et de poésie pour en imprégner, en embaumer de la base au faîte, comme d’une vapeur d’encens, le sanctuaire du Montsalvat. Qu’elle est simple, mais belle, cette