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Sciences, revient l’honneur, qui n’est point petit, d’avoir alors vaincu ses hésitations.

On sait comment, à la suite des premiers cas de guérison de la rage accomplis par Pasteur, fut décidée la création de l’Institut auquel une souscription publique internationale, ouverte sur l’initiative de l’Académie des Sciences, apporta rapidement une somme de 2 millions et demi. Tout cela a été rappelé l’autre jour ; mais ce qu’on n’a peut-être pas assez évoqué, — car il ne faut jamais, au jour du triomphe, oublier les affres de la bataille, — ce furent les luttes terribles que dut soutenir Pasteur contre la routine, la bonne foi mal informée et aussi la mauvaise foi, avant d’en arriver là. Quand on les revit par la pensée, en parcourant pour les années voisines de la guerre, les Comptes Rendus de l’Académie des Sciences, qui fut pourtant celui des champs clos où la bataille garda le plus de dignité, on est presque effrayé de la somme d’énergie et d’intelligence que Pasteur dut, avec la cohorte restreinte de ceux qui l’avaient compris, les Dumas, les Leverrier, les Balard, déployer dans ces combats homériques. Et l’on comprend que la première parole de Pasteur, le jour de son jubilé, parole bien mélancolique, ait été pour tous les lutteurs vaincus de la science, pour les milliers qui, — à côté d’un qui réussit, — ont succombé dans leur étreinte inglorieuse contre les préjugés que soulève tout ce qui est nouveau et les basses haines qui, comme les champignons vénéneux, sous la haute et sombre ramure du sapin, poussent autour de tout ce qui est grand.

Une des raisons principales des discussions qui marquèrent les temps héroïques de l’épopée pastorienne, fut cette tendance, hélas ! invincible qui, chaque fois qu’une découverte modifie un peu l’angle fallacieux sous lequel nous voyons la nature, pousse les hommes à vouloir s’en servir comme d’un projectile pour ou contre leurs affirmations ou leurs négations métaphysiques. Lamentable malentendu. Le cercle que tracent autour de notre entendement les faits connaissables n’est pas et ne sera jamais si étroitement fermé que par quelque coupure, le rêve ne s’en puisse échapper dans une envolée infinie.

De ce que Pasteur avait démontré par l’étude des fermentations que la « génération spontanée » ne pouvait pas alors, pas plus qu’aujourd’hui, être prouvée dans l’état actuel de la science, des esprits systématiques croyaient pouvoir tirer des argumens propres à alimenter l’éternel débat qui divise les spiritualistes et les matérialistes. Naïve et puérile illusion. Pasteur était chrétien et croyant bien avant ses recherches sur la génération spontanée ; il n’eût pas cessé de l’être