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Cette ironie gracieuse, attentive à n’offenser ni une âme, ni une autre âme, ni le secret de la ferveur qui les anime ou les anima, c’est toute la sévérité que le poète se permet à l’égard des bien-aimées, futiles déjà, ou bientôt. Encore cette ironie ne se montre-t-elle presque jamais. Le sentiment qui, avec l’amour, domine, en ces poèmes consacrés aux femmes et à leur complaisance, est déférant et courtois. Ce respect, qui est accordé aux oublieuses même et aux perfides, évoque la poésie du temps où les poètes amoureux divinisaient les femmes et ainsi ornaient précieusement la littérature et la société. A lire les tendres poèmes de M. André Rivoire, on s’attend qu’il aime ces époques et leurs légendes. Il en a, témoigné dans les « imageries » de Berthe aux grands pieds, où passent, fantômes vivans, les « reines au corps mignon, » la reine Blanchefleur, et l’autre, « fleur de Hongrie ou de Bohême, » chaste et fidèle, promise au lit du roi Pépin, et une sainte. Le poème des Vierges est une adoration de la pureté, mais de la pureté féminine, si chère au cœur viril. Sully Prudhomme complimenta le poète, pour tant (disait-il) de piété. Il le louait de maintenir une distance telle entre « l’idole et le croyant. » Il concluait de là que M. André Rivoire était né « chez un peuple où les fiançailles ne sont pas entrées dans les mœurs et où, préliminaires abrégés d’un engagement téméraire, à la fois tardif et précipité, elles n’accomplissent pas leur naturel bienfait. » Je ne sais pas comment Sully Prudhomme aurait voulu organiser le rite des fiançailles. Il était un élégiaque et un mathématicien ; de sorte qu’en souvenir d’un amour malheureux, peut-être élabora-t-il un plan de réforme pour le prélude des amours. Mais la parfaite réussite des amours supprimerait la poésie élégiaque. Sans les fiançailles manquées de Sully Prudhomme, il nous manquerait le chef-d’œuvre exquis des Vaines tendresses. Il dut à sa déception la gloire. Et l’on est touché de sentir qu’en 1895 encore il eût préféré à la gloire le bonheur. Dans cette préface des Vierges, il conjecture que M. André Rivoire a connu les « secrètes déchéances » et le supplice des « alliances éphémères ; » il admet que M. André Rivoire, souffrant ainsi et par des femmes imparfaites, se soit plu, de très loin, au « charme des fronts purs » et ait imaginé les vierges merveilleusement immaculées.

De cette façon détournée, le poème des Vierges est un poème d’amour, et disons, un beau poème, un peu froid, beau par sa froideur même. En le publiant, le poète annonçait deux autres volumes, les Femmes et les Aïeules. Il avait conçu cette trilogie, où l’honnête existence des femmes entrait tout entière. U n’a.pas écrit les Femmes et