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La tendresse n’est point emportée ; elle n’est ni exubérante ni bruyante : elle ne déchaîne pas un grand lyrisme. Dans la poésie de M. André Rivoire, il n’y a pas de ces mouvemens d’une éloquence tempétueuse qui sont comme des ouragans de mots à l’unisson des orages du cœur. Il n’y a pas non plus beaucoup de ces images luxueuses qui sont comme le costume que met le sentiment pour aller dehors et comme sa parure de cérémonie. Cette poésie intime ne sort pas de chez elle et n’a pas besoin de ces élégances. Elle a une élégance ; elle a même une coquetterie : élégance discrète et coquetterie toute réservée au tête-à-tête. Elle ne commet pas l’erreur et l’imprudence d’être négligée ; elle est jolie et mise joliment à la maison : telle, une gentille femme.

Les poètes de l’amour, et quelques-uns de ceux qui nous émeuvent le plus, ont un jeu : l’ironie. Ce n’est pas la moquerie ; c’est un sourire parmi des larmes : à peine un sourire, et parmi des larmes allégées. Ce n’est pas la vengeance ; et pourtant c’est une petite représaille, atténuée de politesse indulgente. On a tort de confondre l’ironie avec la méchanceté, car elle a souvent pitié d’un être, ou deux ; et, le reproche, elle le tourne au badinage, afin d’épargner et l’auteur du méfait et sa dupe, maintenant avertie, la dupe qui se plaint et qui voudrait se consoler. L’ironie peut être, dans la tendresse, une précaution de sagesse et d’amitié. Lisons le Songe de l’amour et, là, le fin poème de l’Approche :


Tu dois venir ; j’attends ; je sais que tu viendras…


Elle viendra, mais en retard et, pour venir, ayant beaucoup menti :


Tu laisseras pensivement glisser ton front
Sur mon épaule, avec un grand besoin d’entendre,
Même sans amour vrai, quelque chose de tendre.
Tu me diras des mots qui te consoleront.


Plus adorable que tous les autres, le dernier vers. Puis, dans le Chemin de l’oubli, après les déconvenues, ce vers :


Je me croyais l’espoir, j’étais le souvenir.


La bien-aimée, il la divinisait. Elle n’était qu’une pauvre femme ; et il la croyait endormie et la croyait la Belle au bois dormant :


Mais c’est en vain que je t’apporte
L’espoir d’un suprême printemps :
La Belle au bois dormant est morte,
Elle avait dormi trop longtemps.