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ne sût pas qu’autour de lui les querelles allaient leur train. De ravissans poèmes d’amour !… Si l’on examine l’œuvre de ses contemporains, et l’œuvre la plus étroitement consacrée à la pure littérature, on y découvre cependant les traces de l’histoire environnante, l’influence des faits et des doctrines, le signe de l’époque. M. André Rivoire s’est-il aperçu de son époque ? Le « songe de l’amour » l’en préservait. M. Gustave Lanson lui reprochera de ne pas « remplir toute la fonction du poète ; » car ce critique veut que les poètes chantent « tout ce qui exalte et enfièvre l’humanité d’aujourd’hui : » ce critique semble un peu las de la littérature. Je n’en suis pas du tout las, quant à moi ; et, si j’avoue qu’une œuvre puissamment marquée du temps qui l’a vu produire tient de là même un intérêt très vif, une dignité imposante, il me plaît aussi qu’un poète préfère à tout divertissement sa poésie, la croie éternelle et refuse de la mener par les chemins de la futile contingence.

Durant ces vingt ans, la poésie française, comme toute chose française, était bouleversée. Il y eut des poètes qui inventèrent de négliger la rime, l’ancienne mesure des hémistiches et enfin toutes les règles jusqu’alors incontestées : auprès de ces novateurs, les romantiques, avec leurs audaces de rejets et enjambemens, sont des conservateurs timides. Ils inventèrent, dans ce désordre, une harmonie qu’on n’avait pas encore entendue et que, du reste, plusieurs personnes continuèrent de ne pas entendre. Ils imaginèrent, en outre, de vouer la poésie à la plus belle expression des idées et à la peinture des symboles. Pour démontrer qu’ils n’avaient pas tort, ils eurent quelques grands poètes. On put croire qu’une nouvelle poésie était née, qu’elle florirait abondamment et serait la poésie de l’avenir. A peine eût-on pu le croire, les poètes, — sauf un petit nombre de féaux et, parmi eux, l’un de leurs maîtres accomplis, M. Francis Vielé-Griffin, — retournèrent à l’ancienne poésie, très sages, dociles comme des révolutionnaires émérites. La tentative symboliste ne fut pourtant pas inutile à l’honneur de notre littérature : on lui doit des poèmes admirables ou exquis ; et, quoi qu’on veuille dire de ses défauts ou inconvéniens, elle réagissait contre la niaiserie réaliste ; elle a ouvert de larges horizons. Il serait facile de démontrer que, si même sa réussite fut incomplète, elle a très heureusement modifié notre littérature à un moment difficile et que ses bienfaits ne sont pas perdus. Mais, tout d’abord, quel trouble elle apporta I M. André Rivoire a bien l’air de ne s’en être pas douté. On ne connaît de lui que des vers réguliers.

En 1895, publiant son premier volume, Les Vierges, il demanda