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s’est toujours défendu du reproche ou du soupçon de communisme, et qu’il a fait la preuve de sa sincérité en attaquant, avec une grande vigueur, avec une fermeté constante, et le communisme et Cabet en personne.

Lamennais, « ce prêtre effroyable qui marie le fanatisme politique avec le fanatisme religieux, et qui donne la dernière consécration au désordre universel, » dit Henri Heine, — lequel Henri Heine se montre en vérité bien sévère, — Félicité de Lamennais a fait du chemin depuis 1833. Pierre Leroux, dans son « poème philosophique » la Grève de Samarez, publié beaucoup plus tard (1863), mais où il intercale une bonne part de ses mémoires, tout en se défendant de les écrire, parle sur un autre ton de l’auteur des Paroles d’un croyant, et cela aussi marque le chemin parcouru par Lamennais. Le voilà loin des Réflexions sur l’état de l’Église (1811) et sur l’Institution des évêques (1814) ; loin de l’Essai sur l’indifférence ; très loin même du temps où, après avoir collaboré au Conservateur, au Drapeau blanc, au Mémorial catholique, il rédigeait l’Avenir. Le voilà loin de sa tardive ordination, à trente-quatre ans, en 1816, et s’il n’est pas, devant sa conscience, un « prêtre effroyable, » il est, devant l’Église, un prêtre condamné. Il a vainement essayé (1837) d’animer un nouveau journal, le Monde, mort à bout de souffle en quelques mois, et il ne compose plus que des pamphlets démocratiques : Le Livre du peuple, l’Esclavage moderne, Religion, la Politique du peuple. Une dernière brochure de la même série, qui a paru plus dangereuse encore, ou plus immédiatement dangereuse, le Pays et le Gouvernement, lui a valu un an de prison et 2 000 francs d’amende (1840). C’est le moment où Lamennais va devenir un saint pour les chapelles, ou du moins pour une des chapelles socialistes, et en effet Pierre Leroux fait plus que de l’admirer, il l’invoque : « O toi à qui la nature donna un si grand esprit dans un si petit corps ; toi si peu retenu dans les liens de la chair ; amaigri en outre par tant de macérations, par tant de prières ; toi qui fus quelque temps, aux yeux de l’Église, un saint Augustin et un saint Jérôme ; toi qu’un pape fit cardinal in petto, et qui aurais été pape si tu n’avais pas été sincère… » Celui que ses amis, autrefois, appelaient « l’abbé Féli, » que Godefroy Cavaignac et Armand Marrast n’avaient pas sans peine accepté parmi les défenseurs du procès d’Avril : « Que voulez-vous que nous fassions