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une bonne plaisanterie, et, rentre chez sa mère, s’empressa de lui conter toute l’histoire. Mais la marquise s’indignait :


Je lui dis que c’était une infamie que de couper ainsi la gorge à cette petite créature pour l’avoir aimé ; qu’elle n’avait point sacrifié ses lettres (comme on voulait le lui faire croire pour l’animer), elle les lui avait rendues ; que c’était une trahison basse et indigne d’un homme de qualité, et que, même dans les choses malhonnêtes, il y avait de l’honnêteté à observer. Il entra dans mes raisons ; il courut chez Ninon et, moitié par adresse, moitié par force, il lui retira les lettres de cette pauvre diablesse. Je les ai fait brûler.


C’était plus sûr.


Et puis, pendant un moment, la marquise s’est remise à espérer. Après avoir été surpris « par un mari, » Sévigné paraît avoir pensé à une vie plus régulière. Il trouva même agréable certaine petite personne à marier et il écrit à sa sœur :


J’ai vu deux fois la jolie infante chez elle, fort gaie, je crois que je la divertis. J’ai le bonheur de faire rire la grand’mère, qui m’a dit, à moi-même, qu’elle me trouvait joli garçon. Nous nous entendons même quelquefois, la petite fille et moi, — et là-dessus nous nous regardons de côté. Cette affaire est entre les mains de la Providence.


Sévigné aimait assez rire avec les petites jeunes filles et leur faire un brin de cour. La marquise ne pouvait aller à Rennes ou à Vitré sans rencontrer une demi-douzaine de ses belles-filles en herbe, au milieu desquelles s’agitait ce fripon de Sévigné dans une innocente orgie de polygamie platonique, trop épris de toutes ces jeunes beautés pour savoir à qui jeter enfin le mouchoir., La marquise redoutait Mlle Sylvie de Tonquedec, la fille de ce gentilhomme bretteur, grand ami du feu marquis, qui avait failli se battre chez elle, autrefois, avec le duc de Rohan. Puis survient, plus dangereuse encore, l’emportant sur tout l’essaim, certaine demoiselle de La Coste, « trente ans passés… aucun bien… nulle beauté, » — et, encore, accordée ailleurs.


25 octobre 1678.

Toute la province en parle… Pourquoi troubler cette fille qu’il n’épousera jamais ? Pourquoi lui faire refuser ce parti qu’elle ne regarde plus qu’avec mépris ? Pourquoi cette perfidie ?… S’il a de l’amour, c’est une folie qui fait faire encore de plus grandes extravagances, mais comme je l’en