Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 19.djvu/592

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Sévigné se montrera futile, inutile… C’est un dilettante. C’est un viveur, c’est un voluptueux ; ce n’est pas un père de famille. : Toutes ces passions qui se succèdent, en se heurtant un peu ; toutes ces liaisons, ces souvenirs, romanesques, légers, ou coupables, l’ont rendu comme incapable d’un engagement sérieux. : Sa mère a raison : « c’est une fragile créature. » « Son cœur est tou… » C’est plutôt légèreté que dérèglement ; la plupart de ses affaires sont des enthousiasmes, des « emballemens, » plutôt que des passions. C’est un patito, le plus grand flirt de France ; ou bien, puisqu’il est toujours sincère, c’est le malade imaginaire de l’amour. Mais tout cela ne l’avance guère pour le mariage, et parfois la marquise désespère de le fixer :


21 juin 1680.

Je vois si trouble dans le destin de votre frère que je n’en puis parler… Je ne vois pas les petits-enfans qui me viendront de ce côté !


Et souvent elle voudrait le gronder, et prépare d’avance sa petite harangue, « mais tout s’est brouillé et si bien mêlé de sérieux et de gaieté que nous avons tout confondu. »

Sa carrière d’amoureux avait commencé dès son retour de Candie. La marquise aurait voulu le marier alors, à vingt ans, « avec une petite fille un peu juive de son estoc, mais les millions nous paraissent de bonne maison. » Sévigné n’entendait rien de cette oreille-là. Il aimait sa liberté, et il s’engoua pour la femme la plus libre, — peut-être même pour l’esprit le plus libre, — de Paris : pour cette Mlle de l’Enclos, la maîtresse de son père, cette Ninon qui avait bien onze ou douze ans de plus que la mère du petit baron. Mais c’était une Aspasie plutôt qu’une Thaïs ; — Molière la consultait sur ses comédies ; elle recevait « tous les Racine, tous les Despréaux ; » les jeunes gens venaient prendre chez elle le bon goût, l’air du monde et le ton de la bonne compagnie. Elle rassemblait une société fort polie et sa maison était parfaite par sa décence extérieure.

Cependant la marquise s’inquiétait de voir son fils épris jusqu’au ridicule d’une femme de cinquante ans, — et quelle femme ! celle qui avait déjà ruiné le ménage des parens.


Votre frère entre sous les lois de Ninon ; je doute qu’elles lui soient bonnes ; il y a des esprits à qui elles ne valent rien. Elle avait gâté son père. Il faut le recommander à Dieu.