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l’argent nécessaire à nos besoins, ont été véritablement au-delà de ce que je saurais décrire, et laisseront, j’espère, dans le cœur de tout officier anglais, un souvenir qu’il se rappellera, si jamais la fortune de la guerre met quelqu’un d’eux en notre pouvoir. »

L’attitude des Français dans le Nouveau Monde se trouva d’accord avec les sentimens des Français dans l’Ancien. A la nouvelle apportée par Lauzun et le comte de Deux-Ponts embarqués, crainte de prise, sur deux frégates différentes, de la capture de Cornwallis, de ses 8 000 soldats, 800 matelots, 214 canons et 22 drapeaux, le Roi écrivit à Rochambeau : « Monsieur le comte de Rochambeau, — Les succès de mes armes ne me flatteront jamais que comme étant un acheminement vers la paix, » et, remerciant « l’Auteur de toute prospérité, » il annonçait l’envoi de lettres aux archevêques et évêques pour qu’un Te Deum fût chanté dans toutes les églises de leurs diocèses.

Il y avait longtemps que les vieux coqs des clochers de France n’avaient frémi sur la pointe des flèches aux carillons des Te Deum pour une victoire conduisant à une paix glorieuse. ! La victoire était sur ces mêmes adversaires qui nous avaient imposé, après leurs propres succès, les conditions du traité de Paris et la perte du Canada. Rien de plus caractéristique que la lettre pastorale de « Louis-Apollinaire de La Tour du Pin-Montauban… premier évêque de Nancy, primat de Lorraine, » dont un exemplaire se trouve dans les papiers de Rochambeau. L’évêque fixe la date pour la cérémonie d’actions de grâces et ajoute : « Cet avantage si important a été le fruit des plus sages mesures : la raison et l’humanité l’ont apprécié et l’ont placé bien au-dessus de ces victoires mémorables, mais sanglantes, dont l’éclat a été couvert par un deuil presque universel. Ici le sang de nos alliés et de nos généreux concitoyens a été épargné ; et pourquoi ne remarquerions-nous pas avec satisfaction que les forces de nos ennemis ont été considérablement affaiblies, leurs efforts déconcertés, le fruit de leurs dépenses immenses anéanti, sans avoir fait couler des ruisseaux de leur sang, sans avoir rempli leur patrie de veuves et de mères infortunées. » Pour cela aussi, en même temps que pour la victoire, des actions de grâces doivent être offertes ; et pour cela aussi, pour des sentimens si humains et si rares, le nom de l’évêque de La Tour du Pin-Montauban mérite de n’être pas oublié.

Quant aux officiers partis près de deux ans plus tôt pour la