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qu’aujourd’hui déjà la parole de l’Angleterre n’a peut-être pas dans le monde la même importance qu’autrefois ? Et, s’il le voit ; comment n’en cherche-t-il pas la cause, et, s’il la cherche, comment ne la trouve-t-il pas en lui et en ceux qui sont animés du même esprit que lui ? Ce n’est pas à tout le parti libéral anglais que s’adressent ces réflexions. On a pu dire jusqu’ici, lui-même a dit bien haut qu’il suivait la même politique que son prédécesseur et, en effet, la politique extérieure de l’Angleterre ne change pas avec les partis qui s’y succèdent au pouvoir. Mais en sera-t-il toujours de même ? Le jour où M. Lloyd George serait vraiment le maître, la question se poserait sans nul doute et elle provoquerait chez les amis de l’Angleterre une grande anxiété.

Si M. Lloyd George se dégageait de ses théories pour jeter sur l’Europe un regard qu’aucune prévention n’obscurcirait, il verrait que partout les esprits sont tendus, les ambitions aiguisées, et que les partis ardens ou violons s’emparent ou cherchent à s’emparer du-gouvernement. Ils viennent d’y réussir à Constantinople. La Jeune-Turquie ne rêve que revanches. Elle manque d’argent, dit-on ; elle aurait besoin d’un emprunt et elle désirerait le faire chez nous ; mais quel serait l’usage de cet emprunt une fois réalisé ? Elle manque d’argent et elle achète à grands frais un cuirassé brésilien qu’elle baptise le Sultan-Osman, et que veut-elle en faire ? Elle veut s’en servir pour reprendre à la Grèce les iles que l’Europe lui attribue. Elle noue des intrigues avec la Bulgarie contre la Serbie et la Grèce. Elle fomente des troubles en Albanie et tend à nouveau la main sur cette province. Atteinte visiblement de mégalomanie, elle cherche des instrumens pour la politique qui s’en inspire. Il lui faut un général allemand pour commander à Constantinople, et l’Europe s’en inquiète. Elle met au ministère de la Guerre un jeune homme de trente-trois ans, Enver boy, connu pour son audace de casse-cou qui ne recule devant rien. Nous ne jugeons pas, nous constatons. Nous constatons aussi les tendances de la politique autrichienne, qui n’a certainement pas encore dit son dernier mot et s’applique, elle aussi, à réparer dans les Balkans les conséquences imprévues et inacceptées d’une guerre fertile en surprises. Et l’Italie ! Dieu nous garde de lui déplaire, mais on peut, sans médire de cette grande nation, parler des aspirations ambitieuses que ses succès dans la Méditerranée ont encore développées. Il suffit, pour s’en rendre compte, de lire le discours par lequel le roi Victor-Emmanuel a ouvert la législature de la nouvelle Chambre, ou encore celui qu’a prononcé récemment le ministre des Affaires étrangères, l’éloquent marquis di San Giuliano. Le plus pur esprit impérialiste les