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Pelletier, un bambin de cinq ou six ans, sans le caresser affectueusement. Un matin, l’enfant voit sortir de sa chambre l’officier prussien armé d’un magnifique fusil de chasse ; il demande la permission d’examiner le fusil, et s’écrie, dans l’élan naïf de son admiration. : « Oh ! quelle belle pièce vous avez là ! Mon père en a beaucoup, lui aussi, des fusils et d’autres armes, mais rien d’aussi beau que ceci ! » Or, l’un des premiers soins de Bülow avait été de faire confisquer toutes les armes des habitans, si bien que ces paroles imprudentes de l’enfant ne pouvaient manquer d’éveiller les soupçons de l’officier. A force de caresses et de tendres instances, celui-ci force le petit à lui avouer que les armes de son père, fusils, sabres, pistolets, se trouvent cachées dans les caves de la maison. Sur quoi l’« ami passionné des enfans, » au lieu de se rendre à la chasse comme il l’avait projeté, s’empresse de courir chez Bülow pour lui dénoncer le père dis son petit protégé. On était à la veille du 15 août, jour choisi par les conspirateurs pour l’exécution de leur entreprise.

Dans le plus grand secret, Bülow enjoint qu’on ne laisse personne sortir de Chartres, ni non plus y entrer. Il fait arrêter toute la famille des Pelletier, fait fouiller leurs caves ainsi que des bâtimens qu’ils possèdent au dehors de la ville, et met la main sur le grand dépôt d’armes dont avait parlé l’enfant. Ses recherches lui livrent aussi toute sorte de papiers, qui lui révèlent à la fois le plan détaillé du complot et le nom de ses principaux organisateurs.

Le dessein soigneusement préparé par ces infortunés était, affirme Krimer, « d’une habileté diabolique. » A minuit, dès que retentirait le tocsin, chacun des habitans devait bâillonner et enfermer sous clef les Prussiens logés dans sa maison : puis l’on devait s’armer en hâte, attaquer les postes prussiens, s’emparer de l’Hôtel de Ville, de la Préfecture, et de l’Évêché, où demeuraient l’état-major de Bülow et les officiers supérieurs. Cela fait, un signal du haut de l’une des tours de la cathédrale avertirait les paysans des villages voisins, qui, emportant les armes de leurs locataires prussiens, se rendraient en masse à la ville, où l’on s’occuperait de créer une véritable armée. Après quoi les régimens ainsi improvisés s’uniraient à l’armée de la Loire, en passant sur le corps des troupes allemandes postées en observation vis-à-vis de celle-ci ; et puis l’on marcherait sur Versailles et Paris, oui l’on n’aurait pas de peine à susciter un grand mouvement révolutionnaire.

Tel était ce complot, dont la « malice diabolique » se mêlait, il faut bien l’avouer, d’une si forte dose d’ingénuité que je soupçonne le petit