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long d’importantes victoires que nous aurions remportées, et lorsque, là-dessus, les excellens Silésiens se sont mis à nous accueillir en triomphateurs, nous qui n’étions en réalité que de tristes fuyards ? »


Aussitôt que l’on a appris en Allemagne le retour de Napoléon, au printemps de l’année 1815, le bataillon où servait Wenzel Krimer est envoyé en Belgique : mais là, dans un village des environs de Liège, des semaines se passent sans qu’il soit question de batailles prochaines. Le jeune volontaire visite les curiosités de la région, s’amuse à vider la cave d’un vieil avare chez qui on l’a logé, et finit par demander la permission de s’en retourner auprès de sa femme, — car il s’est marié pendant l’intervalle des deux campagnes. La cause véritable de cette résolution de quitter l’armée est l’avancement accordé au major von Ziegler, sous les ordres duquel Krimer a toujours servi, et que va remplacer un autre chef, beaucoup moins agréable. Aussi bien, l’opinion commune est-elle que le corps d’armée ainsi campé près de Liège va être bientôt envoyé à Aix-la-Chapelle, pour y tenir garnison. Mais voici que soudain, à l’aube du 14 juin, Krimer entend battre la générale dans les rues du village ; tout le monde est sur pied, des compagnies défilent, sac au dos, emmenant leurs canons. « Enfin nous apprenons que les Français ont franchi la frontière s’avancent très vite vers Bruxelles, et que tout le corps d’armée de Bülow, auquel nous étions rattachés, doit aussitôt se mettre en route. » Krimer prend à peine le temps d’empaqueter ses caisses d’instrumens chirurgicaux, et le voilà parti, une fois de plus, à la rencontre de nos troupes françaises !


Cette fois, il ne s’agissait plus d’une marche de parade. Nous entendions nettement des coups de canon, tirés quelque part dans le lointain ; et, vers le soir, nous reçûmes l’ordre de charger nos armes, tout en continuant d’avancer le plus vite possible, et avec le moins de bruit. Je ne saurais plus dire exactement quel chemin nous avons suivi : en tout cas, nous allions vers Louvain, par des routes étroites, en pleine campagne. Notre marche s’est prolongée jour et nuit jusqu’au 16 juin vers midi, avec seulement quelques courtes pauses. Durant toute cette journée, et jusque tard dans la nuit, nous avons entendu une violente canonnade à peu près continuelle : c’était la bataille de Ligny. Depuis la nuit précédente, la pluie n’avait pas cessé de tomber ; l’air était glacial, malgré la saison ; tout le monde était trempé jusqu’aux os, et frissonnait de froid. Enfin la brigade entière s’arrêta dans un vaste champ entouré de bois ; comme d’habitude, les fusils furent disposés en pyramides…

Bientôt la pluie se changea en un orage épouvantable : tout près de moi, la foudre tua deux hommes, tandis que plusieurs autres ressentirent