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REVUES ÉTRANGÈRES

LES SOUVENIRS D’UN VOLONTAIRE PRUSSIEN
D’IL Y A CENT ANS


Erinnerungen eines alten Lûtzower Jaegers (1795-1819), par Wenzel Krimer. Deux vol. in-18, de la Bibliothèque des Mémoires historiques, Stuttgart, 1914.


Durant ce même été de 1813, je fus mêlé à un épisode qui fit sur moi une impression des plus vives. Je commandais un avant-poste, dans une profonde tranchée creusée au milieu d’une vaste plaine. C’était une belle nuit de printemps, chaude et tranquille, avec un clair de lune qui aurait risqué de laisser voir l’avant-poste, si celui-ci ne s’était point trouvé caché sous des buissons. Je me tenais à l’extrémité de la tranchée, tout pénétré d’une émotion tendre, et me plaisant à évoquer de chères images, lorsqu’on vint m’annoncer qu’une troupe de cavaliers s’avançait dans la plaine, se dirigeant tout juste vers l’endroit où nous étions. Je collai l’oreille contre terre, et perçus nettement, en effet, le pas rapide d’un certain nombre de chevaux. Sur quoi je donnai à mes hommes l’ordre de se préparer en silence à faire le coup de feu, dès l’instant où je leur en donnerais le signal. Notre attente ne fut pas longue : bientôt trois lanciers d’un régiment polonais s’approchèrent avec précaution de la tranchée, que j’avais fait garder des deux côtés, observèrent soigneusement les alentours, et puis, ne voyant rien de suspect, s’en retournèrent au galop vers le reste de la troupe.

Alors cette troupe entière s’avança, précédée de son officier. À une distance d’environ cinquante pas, j’interpellai l’officier, il s’arrêta, mais sans me répondre un seul mot. De nouveau je lui demandai ce qu’il venait faire ; et comme ensuite, au lieu de me répondre, je le voyais éperonner son cheval et s’élancer sur moi, je lâchai la détente de mon fusil. Il tomba, mortellement blessé au cœur ; et, au même instant, une salve générale de mes hommes abattit sur le sol quinze des siens ; après quoi le reste de la troupe s’enfuit précipitamment.