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VII

Le village Innomé de Gascogne est celui d’une grande partie de la France et au fond voici ce qu’on y trouve. L’idéal ancien s’est voilé, qui était religieux, efficace et puissant. L’idéal nouveau s’avance, se dessine, se précise ; il marque de son empreinte profonde l’armature sociale et lui donne une vraie beauté ; mais il n’a pas encore pris possession des âmes. La vertu sociale monte, non celle des individus, qui plutôt descend. Le désaccord est manifeste : il nous paraît redoutable, malgré tout ce qu’on nous dit sur l’importance de la conscience collective, dont les consciences individuelles ne seraient qu’une émanation, et, quand nous aurons discerné quelques-unes de ses causes, nous ne nous sentirons pas plus rassuré.

L’imprégnation religieuse s’est retirée de la surface, laissant une croûte qui se dessèche et tombe, mais elle reste à l’entrée des avenues profondes de l’âme qu’elle semble jalousement surveiller. Les paysans gardent intacte toute leur vieille métaphysique, qui fait partie intégrante de leur être moral, et n’en est pas de longtemps séparable. Peut-on s’en étonner, quand on voit que les hommes, qui se sentent le plus libérés, continuent de vivre pratiquement et inconsciemment sur le fonds doctrinal, traditionnel et atavique, qu’ils travaillent sincèrement à détruire ? La déchristianisation du paysan est très superficielle, beaucoup plus que certains symptômes ne semblent l’indiquer, et par-là même extrêmement nocive, son seul résultat étant de paralyser une discipline ancienne, qui avait fait ses preuves, sans permettre l’action d’une discipline nouvelle, qui n’a pas d’ailleurs fait les siennes. On n’efface pas les plis millénaires de l’âme comme on gratte un emblème sur la porte d’un oratoire. Quelques-uns sont peut-être irréductibles. Le paysan déserte l’église, mais pour des raisons qui ne sont pas fondamentales ; il délaisse la religion, mais sans rien mettre à la place, qui soit une équivalence psychologique et morale. Son tréfonds se réserve, gardant le rythme obscur d’anciennes vibrations, sur lequel la chanson nouvelle n’est pas encore accordée. Voilà la vraie difficulté : rien ne sera fait tant que nous n’aurons pas cet accord. Le phénomène de résonance nous est nécessaire au sens où l’entendent les physiciens. La résonance