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plats, le choix des condimens, celui des pâtisseries auxquelles on laissa leurs noms officiels et ronflans, l’arrangement des menus et de la table montrent qu’à la ruée vers la bonne chère se mêle une pensée d’ambition sociale, ici très sensible, et qui l’est d’ailleurs davantage, surtout plus consciente, en ce qui touche la toilette. A une jeune paysanne, charmante sous son mouchoir garonnais, et qui le veut abandonner pour un affreux chapeau de dix francs acheté au bazar, on fait remarquer combien la coiffure locale est plus seyante à sa beauté : « Je le sais bien, dit-elle, mais nous voulons être jolies à la façon des dames. »

Du régime nouveau les effets ne se font pas attendre et l’arthritisme se montre jusque dans ses expressions les plus élevées. La goutte aux champs n’est plus introuvable. Les syndromes divers de l’artériosclérose précoce, qui témoignent d’une intoxication alimentaire chronique, ne sont pas rares. L’ascension sociale du paysan gascon est complète, et sa pathologie elle-même devient bourgeoise.

On entend bien que la viande est largement arrosée. Ce n’est pas que la race soit portée à l’alcoolisme, elle y répugne plutôt. Mais il coule trop de vin des collines ensoleillées pour qu’on ne remplisse pas son verre jusqu’au bord. L’alcoolisme des vrais paysans offre en Gascogne un triple caractère. Il est modéré et va rarement jusqu’à l’ivrognerie habituelle et la déchéance. Il est inégalement répandu selon la distribution irrégulière de la vigne dans le pays, parfois déterminé par une circonstance locale comme les marchés du matin dans les régions maraîchères[1]. Enfin il est intermittent, il varie selon la richesse de l’année en « purée septembrale, » et l’excès journalier reste toujours rare, mais non la petite pointe qui vous émèche à l’occasion. L’occasion est trouvée dans les travaux en commun, les réunions, les foires, les fêtes, dont on se montre de plus en plus avide. Véritablement on adore la bombance, qui s’accorde mal avec le souci de la culture morale des jeunes.


VI

Elle s’accorde avec le relâchement. Ce n’est pas de celui des mœurs proprement dites que nous voulons parler, encore que

  1. Communication au Congrès d’Hygiène sociale d’Agen, loc. cit.