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métayers infidèles, mais l’offre de la main-d’œuvre était telle qu’ils étaient rapidement éliminés. On ne se maintenait dans les métairies que par une vie de travail, une conduite sérieuse, une bonne tenue morale, excellent exemple pour les jeunes. Le métayage perd chaque jour du terrain en Gascogne ; ses meilleurs élémens lui sont enlevés par l’acquisition facile de la terre, il les remplace par les apports médiocres de l’immigration ; il est altéré par une foule de circonstances secondaires, il ne peut pas être un auxiliaire de la culture morale de l’école comme il l’aurait été autrefois.

D’autres circonstances seraient favorables qu’il est impossible d’utiliser. Dans une petite école, en rase campagne, une jeune fille remplit sa solitude par les soins maternels qu’elle donne à deux douzaines d’enfans, filles et garçons, qui lui viennent chaque matin. Elle n’est point savante et n’a guère lu les traités de psychologie enfantine, elle ne connaît ni Frœbel, ni Pestalozzi, ni les jardins d’enfans, ni l’éducation par l’art, ni bien des efforts intéressans pour faire entrer le sourire de la nature dans les « écoles fleuries. » Mais elle se voit, avec ses écoliers, au milieu du plus vaste des jardins, où ne manquent ni les fleurs, ni les arbres, ni les animaux, et son instinct éducateur la conduit. Elle voudrait faire aimer les oiseaux et tirer du gazouillement des nids d’exquises et profitables leçons. Comment le pourrait-elle ? Le sentier que l’enfant suit chaque jour est bordé de champs couverts de lacets, les haies sont remplies de pièges ; le fusil est toujours au bout du sillon ; au printemps, on détruit les couvées et, pendant les soirées d’hiver, on allume des torches de paille pour aller dans les bois assommer sur les branches les pauvres chanteurs endormis. La capture et le massacre sont incessans.

Elle voudrait faire aimer les fleurs, les arbres, les paysages, les petits coins où le charme de la nature se relève et s’attendrit d’un souvenir du passé. Le paysan reste étranger à ce sentiment. A mesure qu’il prend possession du sol il le dépouille. Il est l’ennemi des arbres, de tout ce qui gêne ou restreint la culture. De bonne heure, il dresse son enfant à lui tout sacrifier. Dans le voisinage de l’école, trois ou quatre vieilles maisons gardaient encore quelques traits d’une ancienne beauté, un bout d’avenue, une charmille, une terrasse, un petit pavillon sur un étang : le nouveau maître arrache, démolit, comble, nivelle. Dans le fond