Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 19.djvu/379

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fournitures scolaires et même du repas de midi. L’idée moderne, d’où est sortie la gratuité scolaire, est généreuse et belle. Mais les idées ne révèlent leur valeur, — d’autres diraient leur vérité, — que dans l’application et à l’usage. Dans nos milieux paysans, la gratuité est cause d’éloignement et d’indifférence. Le moyen de se mêler d’une affaire qui ne vous coûte rien ! La plus modeste rétribution suffirait pour améliorer immédiatement la fréquentation scolaire parce que les paysans veulent toujours de la marchandise en retour de leur argent, et ils ne manqueraient pas d’aller de temps en temps à l’école pour vérifier l’emploi de celui qu’ils ont donné.

Ils y allaient autrefois plus souvent qu’aujourd’hui, tantôt pour solliciter de l’indulgence, plus souvent pour demander de la sévérité. On rencontrait souvent un écolier, déjà passé à la maison, qui, tête basse, était conduit chez le maître auquel on racontait le méfait. S’il était grave, de l’école on allait au presbytère. Nous passions par trois juridictions. Les peines s’ajoutaient sans se confondre. Le châtiment ecclésiastique était particulièrement redouté à cause du lieu du supplice. Elle est pourtant jolie et douce à l’œil la petite place : l’église avec son visage roman y semble sourire aux boutiques qui forgent et charronnent, battent le cuir sur le gros caillou rond et la pâte dans le pétrin. C’est là qu’on était mis à genoux, après le catéchisme de midi, justement à l’heure où les gens se tiennent sur les portes pour flâner un instant.

Trois coupables y étaient un jour alignés, mangeant leur pain dans la honte. Passe un vieillard, étranger à la commune, en villégiature chez des amis, et d’habitudes fort pieuses. « Que faites-vous là, mes enfans ? » Difficile et cruel moment ! Mais tu veillais, vieux génie de la Gascogne, fertile en expédiens, artisan de malices et de farces joyeuses ! « Monsieur, on vient de sonner une agonie et nous faisons une prière. » — « Comme c’est bien, mes amis, je vais faire comme vous. » Et le vieillard de s’agenouiller. L’histoire était bonne, mais le triomphe fut court. Le soir, les trois compères allèrent au lit sans souper. Comme tout cela est loin, archaïque, démodé ! Qu’on ne nous accuse pas surtout de vouloir faire revivre la méthode, sans compter que ce trait ne lui fait pas grand honneur ! Elle avait un mérite, le seul qu’on doive ici retenir, c’est que par elle l’enfant apprenait, en entrant dans la vie, que la règle,