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dit et qu’un certain esprit primaire, qui règne au village, ne soit pas entaché de cette erreur. Il estime donc faire son devoir, tout son devoir et se tient quitte, en envoyant son enfant à l’école et en veillant sur son assiduité.

Il le croit d’autant mieux que l’école est celle du Prince et lui emprunte une excellence indiscutable. Tout ce qui vient du Prince porte un caractère de perfection supérieure, est sacré comme lui, au sens le plus lointain du mot, c’est-à-dire intangible et tabou. Il n’y a pas lieu de s’en mêler, ni même d’en parler. Les paysans ne sont pas seuls à penser de la sorte. En dépit des apparences, l’âme moderne est toujours remplie de royalisme.

C’était dans les premières années du règne de Louis XVI. Sur la place d’un village, d’où l’on domine la Garonne, qui s’avance dans la verdure tendre des peupliers et des oseraies, on dansait avec entrain un dimanche après les vêpres, lorsqu’un bourgeois, arrivant d’Agen à cheval, annonça que le jeune Roi était très malade. La nouvelle courut de porte en porte. Un vieillard, ancien officier, chevalier de Saint-Louis, s’approcha des danseurs : « Mes enfans, leur dit-il, vous êtes à la joie et notre pauvre Roi est peut-être mort. » Les danses cessèrent aussitôt et « chacun se retira tristement dans sa demeure. »

Les descendans des danseurs, démocrates sincères et ardens, seraient bien étonnés si quelqu’un leur venait dire : « Vous êtes aussi royalistes que vos pères et vous avez du Prince la crainte et le respect qu’ils en pouvaient avoir. » Cependant rien n’est plus vrai. Il y a quelques années, un jeune maître exerça sur des enfans des sévices graves. Avertie, l’administration s’empressa de l’éloigner. Mais plusieurs enfans avaient été blessés. Pas un père ne porta plainte au parquet, ni n’intenta une action civile, ni ne détacha de ses doigts la correction que le coupable aurait pu redouter. Et quand, par une enquête discrète, on voulut savoir les causes de cette passivité, — l’absence de divisions politiques dans la commune avait permis une expérience sans trouble, — ce fut partout la même réponse : « Il ne faut pas avoir d’affaire avec le gouvernement et, comme on disait autrefois, il ne fait pas bon cosser avec le Roi. »

Non seulement l’école est au Prince, sa fille aînée, en qui il met toutes ses complaisances ; elle est encore un présent de sa munificence, qui va jusqu’à l’octroi gracieux des