Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 19.djvu/375

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’enfant était saisi par une étroite discipline sociale et il était forcé de marcher droit. Les herbes avaient beau être tentantes pour la vache et les prunes pour le berger, le maître du champ n’était pas loin pour faire respecter son droit. Une surveillance incessante vous guettait de toutes parts, les haies avaient des oreilles et les buissons des yeux. La moindre faute, un simple mauvais propos étaient signalés à la maison, où, le soir, il fallait régler ses comptes.

Comme tout est changé ! A chaque pas, une maison est fermée avec la clôture de jardin renversée et foulée, ou bien le foyer fume encore, mais sans joie et sans espoir. Un couple de vieux l’habite, dont le fils unique est mort « au service, » pauvres maintenant parce que les champs sont mal travaillés et que « tout le monde s’y jette. » L’homme sur un fauteuil, devant la porte, recueille le soleil, et la femme, qui trottine encore, ne peut défendre son jardin contre les déprédations des gamins ni son toit de leurs coups de fronde. Ah ! la tristesse de vieux logis de Gascogne, exposés à toutes les injures, parce qu’il n’y est pas né assez de défenseurs ! Nous sommes devant un fait économique brutal : partout où une population se raréfie, ceux qui restent envahissent les places vides. C’est la loi des vases communicans. N’empêche que l’enfant rencontre moins de barrières, moins d’obligations, moins de tenue et de sévérité sociales. Il y a une sorte de licence inévitable qui prépare mal aux leçons de l’école. Une population grouillante est dangereuse par ses promiscuités ; une population trop clairsemée est défavorable.

L’hyponatalité mérite un reproche plus grave en remplissant l’école de fils uniques. Le médecin les connaît bien. Ils sont indociles, capricieux, parfois inabordables. Dans les petits conflits, que la médication ordonnée soulève, la résistance est souvent vive et nous n’avons pas toujours le dernier mot : les choses se passent beaucoup mieux si trois ou quatre petites têtes assistent à la consultation. Fils unique, enfant gâté, sujet fort rebattu, sur lequel il ne reste guère à dire. Mais bien des gens ne se figurent pas jusqu’à quel point les paysans en Gascogne gâtent leurs rares rejetons. Leur faiblesse est inimaginable, infiniment plus grande que dans la bourgeoisie, où l’on est retenu par des traditions, la culture générale, le sentiment religieux.