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étroitement aux fins supérieures de la vie. Nulle part la physiologie et la psychologie ne se pénètrent davantage. L’instinct fait le principal. La morale n’intervient que pour soutenir, éclairer, diriger.

Son rôle est au contraire capital dans les devoirs des enfans envers les parens. Ici tout est renversé. La nature commande aux jeunes de recevoir et de ne pas donner. L’accroissement est leur loi, c’est-à-dire un égoïsme féroce. S’ils aiment, — et ils aiment en effet, — c’est pour recevoir davantage. Le délicieux sourire des petites lèvres roses dans le berceau est intéressé : il fait gonfler le sein et jaillir le lait. Nous disons d’ailleurs volontiers que l’amour descend et ne remonte pas, mais il est des choses que l’on dit beaucoup plus qu’on ne les croit. Nous aimons tellement nos enfans que nous leur prêtons la moitié de notre amour afin qu’il nous le rendent, véritable illusion affective. C’est que la nature excelle à nous tromper quand elle juge la piperie nécessaire. Impitoyable aux vieux, elle n’a d’autre souci que la continuité de la vie, qui est le triomphe des jeunes. Si les sentimens de ceux-ci se sont transformés, élargis, enrichis, élevés jusqu’à l’amour véritable, jusqu’au dévouement et au sacrifice, c’est l’œuvre de la morale, une de ses plus belles victoires. D’où cette conséquence que l’amour et le respect des enfans pour leurs parens enregistrent assez fidèlement les oscillations de la culture morale, avec elle sont en honneur ou tombent en discrédit. Nous pouvons surprendre ces sentimens, au sortir même de l’école, alors que l’enfant est encore tout chaud des soins qu’il vient d’y recevoir.

Il ne paraît pas en avoir profité. Ce n’est pas que le petit paysan, qu’on nous montre, le certificat d’études à la main, manque de convenance dans le langage ni même d’une certaine gentillesse morale, mais tout est en surface. Les parens ne s’y trompent pas, puisqu’ils prennent les plus grandes précautions pour ne pas enlever le vernis. Que le moindre choc le fasse éclater, le dessous apparaît, qui n’est pas ce qu’on aurait pu croire. Il est moins bien qu’autrefois. Les enfans n’attendent pas longtemps pour parler haut devant les parens réduits à parler bas. La famille, cellule sociale, école et foyer de toutes les vertus publiques, se dissout par l’individualisme excessif, anarchique, stérilisant des jeunes, car un tel excès est contre l’ordre et la vie. Il ruine la terre en brisant l’organisation