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la réponse, comme passe en éclair la pointe de l’épée dans le défaut d’une parade ! Deux cochons se vautrent dans le fossé du chemin, sous la haie ventrue d’épine noire, gardés de loin par un petit bonhomme, qui, le nez dans son livre, repasse sa leçon. Demandez-lui s’il veut les vendre, et vous serez vite servi, marchandeur qui voulez rire, tandis que pour un autre, on changera de ton, on racontera sans en avoir l’air les mérites des animaux, et, inconsciemment, par besoin de s’exercer, par aptitude de race, on plaidera le marché. Plus tard dans la vie, à la foire, en affaires, en politique, le jeu sera fin, serré, dangereux, parce que les feintes se cachent aussi bien dans une chaleur dont on sourit que dans une réserve dont on se méfie. L’intelligence est ici avide de comprendre et d’exprimer : c’est un jeu de la garnir et de l’armer. L’enseignement intellectuel réussit à merveille.

Pourquoi faut-il que l’enseignement moral échoue ? Pourquoi cette âme reste-t-elle insensible à la culture profonde et déterminante que l’école lui veut donner ? Car elle reste froide, réfractaire, fermée. Tel est le cas, continu depuis trente ans, donc chronique, pénible, douloureux. Il s’agit de l’étudier à la manière dont les médecins en usent avec les cas cliniques, et, comme ils s’aident de certaines sciences pour éclairer leur observation, nous voudrions, nous aussi, mettre un peu de psychologie et de philosophie au service de la nôtre.

La médecine inspire notre méthode et sans doute il y paraîtra. Si c’est un bien ou un mal, il ne nous appartient pas de le dire. L’esprit n’échappe guère à l’empreinte du métier. Une philosophie, qui se détache en clair dans l’ombre montante de la vie, qui sort de la vie et du métier, fondus l’un dans l’autre, et apparaît comme la conclusion d’une longue expérience, porte forcément la marque de son origine. Cette marque est nette, indélébile, plus intéressante peut-être si le métier est celui dont il faut reconnaître qu’aucun n’est plus humain, humanior au sens latin, profond et émouvant du mot. Aucun ne nous met davantage aux prises avec la réalité tout entière de l’homme.

Cette philosophie va nous permettre de pousser jusqu’au bout une analyse attristante, sans que notre confiance dans l’avenir en soit ébranlée. Nous lui devons un optimisme dont nous souhaitons que nos dernières pages laissent au lecteur la douce et tonique impression.