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On peut étudier l’enseignement moral de l’école à divers points de vue d’un très grand intérêt : le nôtre, modeste et précis, est celui des résultats, et, en pédagogie comme en médecine, le succès seulement nous touche. L’exclusif souci du succès serait ici grande sagesse : il débarrasserait le problème des élémens étrangers qui le compliquent, l’obscurcissent et le compromettent ; il éloignerait de nous des arrière-pensées qui passionnent notre jugement ; et, donnant à chaque chose sa place, son vrai jour et sa valeur, il résoudrait certaines difficultés qui nous paraissent insurmontables. On nous pardonnera d’avoir ce souci jusqu’à l’obsession dans un pays, où l’existence même de la race est mise en péril par un mal dont le caractère essentiellement moral n’échappe plus à personne. Est-il possible d’en avoir un autre dans des villages, ou il arrive, comme naguère nous l’avons vu, que la cloche, au cours d’une année, sonne neuf fois pour les morts sans saluer une seule naissance ?

Nous aimons le petit paysan et cela nous devrait valoir de le mieux connaître. Que de fois nous nous sommes penché sur son âme sans qu’il s’en doute ! Nous le rencontrions chaque jour à l’entrée des prairies ou sur la bordure des bois en compagnie de ses bêtes ; nous avons reçu de lui plus d’une confidence, sous le manteau de la cheminée, pendant que des flambées de bois menu séchaient nos habits mouillés ; il nous a souvent accompagné en voiture, soit qu’il revînt de l’école avec son sac de toile bleue d’où sortait le goulot d’une petite bouteille vide, soit que, plus grand, il portât le soir à l’aiguisage les fers de la charrue émoussés par le travail de la journée.

L’enveloppe est quelconque : corps souple, nerveux, fondu aux chaleurs de l’été sous le simple vêtement d’une chemise sans cravate et d’un pantalon trop court, les pieds chaussés de sandales, les jambes nues, brûlées par le soleil, rayées par la morsure des ronces. La chevelure en broussaille coiffe un visage petit, hâlé, tout entier dans les yeux. Mais les yeux sont vivans et souvent beaux. Ils éclairent le geste et la parole, celle-ci facile, animée, avec une nuance d’amplitude dans l’image. C’est une vivacité intérieure qui se répand au dehors.

Faisons-nous traduire en patois les trois ou quatre fables de La Fontaine que l’on sait : la traduction sera savoureuse, enrichie de-ci, de-là d’une épithète, d’un juron, bien dans le sens et à leur place. Et quelle prestesse pour saisir le joint et y envoyer