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ne change tout à fait. Quelles émouvantes évocations suscite dans l’esprit des témoins de ces actualités pathétiques la continuité d’une si longue histoire ! Depuis l’époque reculée où Egertios fonda le port de Chio, en face du golfe de Clazomène, l’hellénisme a fait de ce pays un de ses séjours de prédilection. La race antique s’est fortement établie sur ce sol, résistant aux agressions brusques des conquérans ou à l’invasion lente des métèques. Les syllabes millénaires des dialectes d’Ionie sonnent encore, à la façon d’une gentille musique, sur les lèvres des femmes de ce pays, après quinze siècles de vicissitudes historiques et légendaires. Fustel de Coulanges a retrouvé ici, dans l’euphonie du grec moderne, toutes les beautés du grec ancien. C’est la même harmonie, la même souplesse d’expression, la même richesse de nuances. Tous les noms des villages de cette île, Coronée, Elatée, Livadie, Delphinion, ont des origines vénérables et des sonorités charmantes. Et ce n’est point seulement par l’influence des écoles que s’est maintenue ainsi la grâce impérieuse du langage des ancêtres. La première école hellénique de Chio, foyer de propagande évangélique et nationale, date seulement du XVIIIe siècle. Auparavant, c’est la tradition orale qui a maintenu l’intégrité du parler natal. Ici, chaque paysan est un helléniste spontanément dévoué à la conservation de cet héritage inaliénable. C’est pourquoi le discours de l’évêque, en ce jour de fête, a été si bien compris par cet auditoire, qui répond, dans l’église même, par d’enthousiastes acclamations… Zitó !… Zitó !

Et maintenant, Mgr Hiéronyme, ayant quitté sa chape dorée, sa tiare étincelante et sa houlette incrustée de pierres précieuses, ne gardant de ses ornemens que la croix pectorale qui brille sur sa robe noire, devient le plus simple et le plus affable des maîtres de maison, pour nous faire entrer chez lui, dans sa résidence épiscopale, et pour nous offrir, à la mode du pays, le glyco, les aiguières d’eau pure, les cigarettes levantines, les petites tasses de café savoureux et parfumé, toutes les exquises douceurs qui donnent un goût particulier à l’hospitalité orientale. Nous sommes nombreux, dans cette grande salle spacieuse et claire, assis sur les divans du vénérable prélat, qui se multiplie avec beaucoup de bonne grâce, afin de faire honneur à tous ses invités. Il me fait asseoir tout près de lui, à côté de l’amiral, et je suis confus autant que touché de cette nouvelle