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Que de fusillades et de pistolades ! Mais nous sommes dans une île pacifique. Pour voir le défilé du cortège qui va se rendre processionnellement à l’église métropolitaine, la foule se range, en double haie, le long des rues étroites où l’on a disposé des arcs de triomphe en verdure, des tapis et des voûtes de feuillage, des palmes en éventail, des couronnes de fleurs, entourant d’une décoration multicolore et embaumée les effigies du roi Georges et du roi Constantin, les portraits de M. Venizelos et de l’amiral Coundouriotis. Le cortège s’avance sur une jonchée de fleurs, jetées à pleines corbeilles. Aux fenêtres pavoisées, aux balcons enguirlandés, on voit sourire des visages de femmes dans l’encadrement des persiennes ouvertes et des volets déclos, briller d’admirables yeux noirs. Une molle et douce pluie de roses, d’œillets, de jasmins tombe des mains tendues au-dessus de ces passans dont l’apparition est un heureux présage. On respire l’odeur des feuilles du citronnier et de la fleur d’oranger. C’est un triomphe charmant. On y remarque l’expression d’un grand respect, amicalement tempéré par une familiarité affectueuse. Et c’est un spectacle très agréable à l’œil, que ce défilé d’uniformes blancs, impeccablement corrects, parmi cette ornementation naïvement inventée par la fantaisie d’un peuple heureux d’être enfin délivré.

La modestie de l’amiral, à qui s’adressent tous ces témoignages de l’allégresse nationale, est un trait à noter parmi tant de détails, recueillis au passage, au hasard des rencontres.

Le commandant en chef de l’escadre de la mer Egée aimerait mieux, sans doute, être à son poste de combat qu’à cette place d’honneur. Comme la plupart des gens très braves devant le danger, ce vaillant homme de mer, ce fils d’une lignée de brûlotiers d’Hydra est timide en présence d’un discours à entendre ou à faire. Cette rumeur d’ovation le gêne, l’étonné et semble quelque peu le déconcerter. Il s’y prête cependant, avec beaucoup de bonne grâce, parce qu’il sait tout le plaisir que procure aux populations de l’Archipel la présence de sa flotte longtemps attendue. Il sourit, d’un sourire discret, très doux, qui est comme l’expression voilée et muette de la profonde satisfaction qu’il éprouve à voir se réaliser ainsi, sous ses yeux, le grand rêve national et populaire, l’idée impérissable qui, de siècle en siècle, de génération en génération, a soutenu la foi et l’espérance des opprimés, en leur donnant la