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par l’approche de la nuit. Le soleil décline et va disparaître aux brasiers du couchant. C’est l’instant où, dans toutes les flottes de guerre, on amène le pavillon national, avec le cérémonial réglementaire des « couleurs, » partout, ce salut quotidien au symbole de la patrie vivante, armée pour la défense de ses droits et de son honneur, est un acte profondément émouvant. Ici, en raison des souvenirs qui hantent tous les esprits, et qui s’associent, dans le fond des cœurs, à tant d’espérances neuves, ce rite militaire, solennel et religieux comme une prière du soir, prend un caractère particulièrement touchant et grave. Et, lorsque les couleurs, glissant le long de la drisse d’artimon, en présence de la garde d’honneur qui présente les armes, ont disparu avec le soleil et sont rentrées dans l’ombre jusqu’au réveil du lendemain, les échos de l’île délivrée s’émeuvent aux cadences d’un chant noble et lentement mesuré, que propagent en flots d’harmonie les ondes sonores de la mer., C’est la musique du vaisseau-amiral, qui joue l’hymne national, le cantique du poète Solomos :


Nous t’avons reconnue au tranchant de ton glaive ;
Tes yeux sont doux comme une étoile qui se lève
Sur l’insondable deuil d’un tombeau dévasté ;
Salut ! Nous te ferons de belles fiançailles ;
Après tant de misère et tant de funérailles,
Salut, salut, ô Liberté !


Et maintenant, pour que la fin d’un si beau jour ne menace point de tristesse nocturne l’heureuse insomnie des habitans de cette île qui ne veut pas s’endormir au milieu d’une si mémorable fête, les feux électriques de l’escadre resplendissent ainsi qu’une illumination de féerie. Pas un mât qui n’arbore à sa pointe une aigrette scintillante. Pas une vergue qui ne soit parée d’un collier d’étincelles ou d’une grappe de flammes. Pas un hublot dont la clarté ne soit comparable au rayonnement d’un clair de lune. Pas une vague qui ne berce au langoureux va-et-vient des remous sommeillans un bouquet de feu d’artifice. Les puissans projecteurs du vaisseau-amiral et des croiseurs cuirassés dirigent leurs lueurs sur la ville, entre-croisent leurs faisceaux lumineux, s’arrêtent çà et là, révélant un groupe de maisons, un coin de paysage, une foule massée sur la proue