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innombrable qui va au-devant de la flotte de guerre, et qui voudrait marcher sur la mer pour accueillir de plus près les vaisseaux libérateurs.

La ligne bleue de l’horizon révèle des silhouettes sombres qui viennent du côté de Phocée, s’avancent, grandissent progressivement, prennent une forme de plus en plus nette et proche dans l’azur lumineux de la mer et du ciel. Les éclaireurs d’escadre précèdent les croiseurs cuirassés, au milieu desquels se distingue, par les proportions d’un profit plus ample, la masse noire de l’Averof, surmontée d’une écharpe de fumée qui domine ses batteries et sa mâture.

— L’Averof, notre Averof ! s’écrie le petit Niki en battant des mains, avec un transport d’enthousiasme que sa nurse anglaise contemple d’un œil à la fois sévère et attendri.

Et le jeune Anastase, plus calme, non moins heureux, fixe sur ce spectacle historique un regard silencieux où se prolonge l’expression d’une sorte d’extase et de félicité intérieure… Oui, cette fois, c’est bien la résurrection.

— Encore un peu de thé, monsieur ? Des petits gâteaux ?

Ces mots, prononcés en français par la voix musicale d’une aimable femme, ont interrompu le rêve sans dissiper l’enchantement. La journée s’achève ainsi, dans une suite de propos agréables et d’émotions fortes. C’est une délicieuse fin d’après-midi. La rade, miroitante comme une glace de cristal bleu, reflète en ses profondeurs l’image inverse des maisons peintes qui tournent leurs façades vers l’ouverture du port, du côté de l’Orient. Cependant les navires de l’escadre manœuvrent en réduisant leur vitesse pour entrer de conserve dans le chenal qui sépare Chio des rivages de l’Anatolie, et dont les eaux calmes et le fond de sable offrent aux marins un abri toujours assuré. On entend le sifflet des maîtres d’équipage ; le treillis des agrès se précise ; on voit des pavillons de signaux, hissés aux grands mâts, aux flèches d’artimon et de misaine. Tandis que les croiseurs cuirassés mouillent leurs ancres au large, les bâtimens légers, les contre-torpilleurs agiles, effilés comme des fuseaux d’acier, pénètrent facilement dans le port neuf, par le goulet, entre les deux phares. Les pavillons bleus et blancs, couleur du ciel et de la mer, ont des frissons palpitans d’ailes joyeuses dans la paix sereine de ce beau jour.

Les cloches des églises sonnent, tintent, chantent