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homme et un cœur excellent. Jamais on ne pourra dire assez de bien de lui. »


VI

Le 8 mai 1781, après une traversée de quarante-trois jours, la Concorde arrivait à Boston, ayant à bord le comte de Barras (de la même famille que le futur Directeur), « cordon rouge et chef d’escadre, » qui allait remplacer Ternay, et le vicomte de Rochambeau apportant à son père la fâcheuse nouvelle qu’aucune seconde division ne lui serait envoyée, — « Mon fils est revenu bien seul en ce pays-ci, » écrivit, pour toute remontrance, le général au ministre de la Marine, — mais, en même temps, d’autres avis de très grande importance. Une nouvelle flotte aux ordres du comte de Grasse avait été réunie et, au moment du départ de la Concorde, venait de faire voile pour les Antilles, de sorte qu’une domination momentanée de la mer allait devenir une possibilité. En outre, « malgré la dureté des circonstances, » écrivait Vergennes à La Luzerne, et l’état déjà inquiétant de nos finances, un « nouveau subside gratuit de six millions de livres tournois » était accordé aux Américains. Des envois de fonds avaient été déjà reçus aussi par Rochambeau, un million et demi en février, avec une lettre de Necker disant : « Soyez sûr, monsieur, que tout ce qu’on demandera à la finance pour votre armée sera prêt à l’instant. » Sept millions arrivèrent peu après par l’Astrée, qui avait traversé la mer en soixante-sept jours, sans fâcheuse rencontre. En fait de troupes, six cents recrues seulement abordèrent à Boston en juin avec le Sagittaire.

Rien de plus ne devant venir, l’heure était arrivée des décisions définitives ; il fallait tenter un grand effort, le grand effort en vue duquel tout le reste avait été fait, celui qui aboutirait à la paix et à l’indépendance américaine, ou à l’humiliation d’un échec définitif. Tous se rendaient compte de la solennité du moment. La question était : En quoi doit consister ce grand effort ? Sera-ce la prise de New York ou la libération du Sud ?

Les termes du problème avaient été amplement discutés par lettres et en conférences entre les chefs, et le débat continuait. Le premier qui prit nettement son parti, cessa d’hésiter entre les avantages et inconvéniens des deux projets et déclara qu’il