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M. LE MINISTRE DE L’INTERIEUR. — Le Conseil d’État statue.

M. MAURICE BARRÈS. — Comment ! Le Conseil d’État statue ? Ah bien ! alors je vous demande ce qu’attend le Conseil d’État pour statuer sur le cas de l’église de Chars, en Seine-et-Oise, magnifique édifice du XIIe siècle. Le dossier est prêt, les relevés sont faits ; mais on s’incline devant l’opposition du conseil municipal. Et le cas de l’église de Bornel (Oise) ? Il est encore plus beau.

A Bornel, un groupe de personnes généreuses offrait 15 000 francs à l’État pour restaurer l’église, superbe exemplaire de l’architecture du XIIe et du XIIIe siècle, si on le classait. Les architectes réclamaient ce classement. Mais un épicier, forte tête du cru, s’est mis en travers, déclarant que l’édifice n’avait aucune valeur archéologique. Et l’affaire n’a jamais pu aboutir. (Exclamations à droite.)

On peut rêver sur ce cas. Vous le voyez d’ici, M. l’épicier de Bornel, qui tient conseil dans sa boutique entre ses sacs de pruneaux et son tonneau de harengs saurs… (Rires à droite.)

Mes chers collègues, nous demanderons conseil à M. l’épicier de Bornel, quand il s’agira d’épicerie ; mais il fera bien, en matière architecturale, de s’en remettre à l’opinion de l’inspecteur des monumens historiques. (Applaudissemens à droite et au centre.)

Je ne puis admettre que ce soit à lui de décider qu’elles doivent périr, les fresques du XIIe siècle, et qu’on a vu assez longtemps au-dessus du village ces restes de l’obscurantisme et de la barbarie.

Quels sont, messieurs, vos sentimens devant l’épicier de Bornel ? (Mouvemens divers.) Moi, je me sens embarrasse devant lui comme si on me présentait un problème obscur. Dans les autres régions, les architectes consultent officieusement les maires avant de déposer leurs rapports. De la sorte, les refus restent dans l’ombre, et la statistique est impossible à dresser.

Oui, il y a une procédure de recours au Conseil d’Etat pour contraindre une municipalité à laisser classer son église ; mais la vérité, c’est que, grâce aux influences politiques, l’administration est impuissante contre les vandales. Chaque année est offerte une magnifique hécatombe d’églises : A quel