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Morgan (qui avait détruit en partie la cavalerie de Tarleton à Cowpens, le 17 janvier), faisaient de leur mieux au milieu de circonstances singulièrement défavorables. Avec sa poignée d’hommes, sachant que la moindre erreur serait sa perte, La Fayette, âgé de vingt-quatre ans, hors de portée de tout secours et de tout conseil, menait une campagne où sa sagesse, sa ténacité, son coup d’œil, lui valaient l’admiration des vétérans. Irrité de toujours le trouver sur sa route, Cornwallis écrivait à Clinton : « Si je peux trouver l’occasion de m’en défaire sans avoir à perdre de temps, je n’y manquerai pas. » Mais La Fayette se refusait à lui laisser employer ainsi ses loisirs.

Pour arrêter Arnold, deux expéditions françaises furent organisées, profitant de momens où la sortie de Newport n’était pas bloquée par les Anglais : une en février sous Tilly, qui poursuivit le convoi portant Arnold aussi loin dans la rivière Élisabeth que le lui permit le tirant d’eau de ses navires et qui revint après avoir capturé le Romulus de 44 canons, quelques autres petits bâtimens, d’importans approvisionnemens destinés à Arnold et 550 prisonniers ; une autre de plus d’importance, en mars, sous le chevalier Destouches, qui avait pris à bord une partie de l’armée de Rochambeau, en vue d’un débarquement possible. Mais, malgré toutes les précautions, les Anglais eurent vent de nos intentions, et on rencontra leur flotte à la hauteur du cap Henry ; le combat, dans lequel nous eûmes 72 tués et 112 blessés, fut méritoire, mais rien de plus. Il eût pu facilement tourner au désastre ; l’ennemi avait plus de canons, et la lenteur de quelques-uns de nos navires, dont plusieurs n’étaient pas doublés de cuivre, était un sérieux désavantage. D’habiles manœuvres compensèrent cette infériorité. Le Congrès vota des remerciemens ; mais la situation demeura la même. « Voilà donc, écrit Closen, Arnold en repos, la Virginie désolée par ses incursions et M. de La Fayette trop inférieur pour pouvoir faire autre chose que de rester sur la défensive. »


V

Le jour viendrait cependant où il faudrait agir et, pour n’être pas pris au dépourvu, Rochambeau tenait son armée en haleine, lui faisait construire des fortifications et s’exercer au « simulacre de la petite guerre. » Quant à ses officiers, une