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d’égalité, moins de privilèges, des vies plus simples chez les grands, moins dures chez les petits, le savoir plus accessible, la libre discussion des intérêts communs. Dès ce temps, l’opinion publique était puissante et n’était pas formée par l’avis isolé de quelques-uns. Il ne faut pas oublier qu’entre la fin de la révolution américaine et le commencement de la nôtre, il ne s’écoula que six ans ; entre la constitution américaine et la française, quatre ans. Dans le temps même de la campagne de Yorktown, Necker publiait son fameux Compte Rendu, qu’il adressait, non pas au Roi, mais à la Nation. Six ans après la guerre d’Amérique, le 24 janvier 1789, le Roi prescrivait la rédaction des fameux Cahiers, voulant que, « des extrémités de son royaume et des habitations les moins connues, chacun fût assuré de faire parvenir jusqu’à lui ses vœux et ses réclamations. » Et les cahiers, demandant des libertés fort semblables à celles des Américains, vinrent en effet des points les plus reculés, œuvre de tout le monde, de quasi-paysans parfois qui s’excusaient de leur orthographe et de leur grammaire. Les lettres et notes des volontaires de la Révolution, fils de paysans ou d’ouvriers, surprennent par les masses d’idées générales et de vues d’ensemble qui y fourmillent. Ce n’était donc pas une indication sans portée que Franklin avait donnée au Congrès, lorsqu’il lui écrivit de Paris : « Le penchant unanime de la nation est manifestement en notre faveur. »

Un autre trait frappant dans la masse des récits que nous avons de cette campagne contre les Anglais, est le peu de place que, comme nation, ils y occupent. La note dominante est l’enthousiasme pour les Américains, non la haine pour leurs ennemis. En France, écrivait Ségur, « malgré l’habitude d’une longue obéissance au pouvoir arbitraire, la cause des Américains insurgés fixait toutes les attentions et excitait un intérêt général. De toute part l’opinion pressait le gouvernement royal de se déclarer pour la liberté républicaine et semblait lui reprocher sa lenteur et sa timidité. » D’une revanche sur les Anglais, pas un mot. Personne, chez nous, disait encore Ségur, « ne songeait à une révolution quoiqu’elle se fit dans les opinions avec rapidité. Montesquieu avait rendu à la clarté du jour les titres des anciens droits des peuples, si longtemps enfouis dans les ténèbres. Les hommes mûrs étudiaient les lois de l’Angleterre. » Résumant les mobiles des nouveaux croisés qui « partaient