Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 19.djvu/24

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

heureux de mon succès. De nombreux radicaux m’apportent leurs signatures. Je suis plein d’espoir, nous allons pouvoir faire voter mon projet de résolution. C’est tout de même quelque chose qui aide à la réussite, que d’avoir si profondément raison.


XI. HOMO SAPIENS

J’étais allé au Jardin des plantes préparer mon discours en me promenant. Je suis entré au Muséum. On y voit le tableau de la vie sur notre planète ; on y voit de vitrine en vitrine et d’âge en âge, à côté des premières gélatines animées, les familles d’êtres vivans surgir et mourir. Ces salles silencieuses où sont réunis comme par ordre de disparition les plus vieux témoins du monde, je les parcours à chaque visite avec un double respect, respect pour ce mystère infini et respect pour les savans qui ont si bien cherché et classé. Quelle excitation pour l’esprit, et en même temps, quelle simplicité et quelle unité, ce grand spectacle dépose dans notre âme !

Au troisième étage, à son rang de haute dignité dans la série animale, figure l’Homo Sapiens. Il est là naturellement à plusieurs exemplaires, dont un superbe, fort saisissant, bien complet, un homme de l’âge de pierre, qu’on a découvert dans une grotte auprès de Menton… Il vivait, Dieu sait quand, il y a au moins vingt mille ans, et déjà il faisait de grandes choses : il avait inventé le feu (on l’a trouvé auprès d’un foyer) et ces flèches que voilà près de lui ; et puis, c’était un artiste, il couvrait de dessins et de peintures les parois de son habitation. Il a bien mérité. Et chaque fois que je le visite, je suis content de le voir installé dans ce beau cadre, gardé par un descendant en casquette et entouré de soins administratifs très dignes.

Hier, tout animé par les méditations auxquelles je m’abandonne dans les marges de mon discours, je le regardais avec plus de sympathie encore. Il porte une résille de petits coquillages et cet ornement un peu affecté, maintenu dans sa chevelure par une longue épingle qu’on a laissée auprès de lui, s’accorde bien avec son caractère intellectuel dont témoignent ses travaux. Mais c’est sa personne même qui est parlante. Le voilà couché sur le côté, ses jambes repliées l’une sur l’autre, ses