Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 19.djvu/239

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’un seul coup à l’impôt n’en sont pas moins une sorte de gageure devant laquelle M. Caillaux reculerait sans doute si, étant le chef de son parti, il n’était pas obligé de le suivre. Aussi annonce-t-il qu’il va enfin, pour lui complaire, demander aux Chambres de voter l’impôt sur le revenu, ou plutôt le demander au Sénat, car la Chambre l’a déjà voté, et c’est précisément l’impôt voté par la Chambre qu’il entend imposer au Sénat. Ce sera l’impôt progressif avec déclaration obligatoire et contrôlée. M. Caillaux n’en attend pourtant pas 600 millions du premier coup ; on les lui demandera plus tard, et même davantage ; pour aujourd’hui, on « conjuguera » l’impôt sur le revenu avec une augmentation des droits successoraux. Cette « conjugaison » a de quoi effrayer. Le précédent ministère avait déjà proposé une augmentation des droits successoraux : en y ajoutant l’impôt sur le revenu et sur le capital, nous aurons toutes les bonnes choses à la fois.

Eh quoi ! dira-t-on, M. Caillaux va-t-il vraiment augmenter les impôts de 600 millions à la veille des élections ? Il pourrait le faire sans que la grande majorité des électeurs s’en aperçussent tout de suite, car ils comprennent peu de chose aux votes de la Chambre et ne sentent le poids des impôts qu’au moment de les payer : or, les impôts nouveaux, quelque rapidité qu’on y mette, ne pourraient être définitivement votés, si tant est qu’ils puissent l’être, qu’à la veille même des élections. Mais ils ne le seront pas de sitôt : on va voir un phénomène sans précédent : une Chambre qui, élue pour quatre ans, n’aura pas voté quatre budgets. C’était non seulement son droit, mais son devoir strict de le faire, et une défaillance pareille aurait été regardée par les Chambres d’autrefois comme un déshonneur qui les aurait disqualifiées. La Chambre actuelle est plus coulante : elle ne votera pas son quatrième budget et ne s’en présentera pas moins triomphalement devant les électeurs. L’impôt sur le revenu auquel M. Caillaux tient à attacher son nom ne sera donc voté que par la Chambre future : en attendant on vivra sur des douzièmes provisoires, et M. Caillaux bataillera avec le Sénat. Il s’est déjà présenté une première fois devant la Commission des Finances de la Haute Assemblée ; on savait de part et d’autre à quel point on était éloigné de s’entendre ; on n’a même pas essayé de le faire et chacun est resté sur ses positions. Il faut vivre pourtant : en attendant des impôts qui ne seront pas votés avant l’été, de quoi vivra M. Caillaux ? Il vivra de petits emprunts faits à droite et à gauche. Il a retiré le projet d’emprunt de 1 300 millions qu’avait déposé son prédécesseur, mais il a fait