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du siècle : et Alfred de Musset donne le même diagnostic, en termes analogues. Dans les derniers temps de l’ancien régime, une jeunesse florissait, à laquelle son ascendance avait préparé lentement ses conditions de vie, conditions matérielles, intellectuelles et morales. Tout cela, soudain, s’écroula : il ne resta que des décombres. Le génie de Napoléon fit, avec ces débris, un nouvel univers. Il ne l’inventait pas et il prenait au passé plus que des bribes. N’importe : il constitua ou il reconstitua une conscience française. Il l’anima d’un entrain superbe, la gloire. Il suscita les énergies ; et, pour les occuper, il ordonna une épopée resplendissante. Mais, en 1815, second désastre, pareil à celui que subirent les contemporains de la révolution. La France impériale était tout enflammée de victoire ; la vie française ne paraissait plus destinée à autre chose : et tout à coup le foyer de ferveur s’éteignit. Les énergies que l’Empereur avait suscitées et qui n’étaient pas mortes avec lui, ne surent que faire. Un homme, parmi les grands aînés de cette jeunesse malheureuse, a compris ce terrible désarroi, un homme d’État dont il est possible qu’on veuille critiquer la politique (je ne sais), mais à qui n’échappait nulle contagion de mélancolie et de désir, Chateaubriand. A la jeunesse désœuvrée, en peine d’héroïsme, il a donné ce beau divertissement, la guerre d’Espagne. « La légitimité allait, dit-il, pour la première fois brûler de la poudre sous le drapeau blanc, tirer son premier coup de canon après ces coups de canon de l’Empire qu’entendra la dernière postérité ! » Il avait senti, la France s’ennuyer ; il lui offrit le jeu dont elle était privée. Dans l’armée de la Restauration, le jeune Vigny s’ennuyait : « Chaque année, dit-il, apportait l’espoir d’une guerre ; et nous n’osions quitter l’épée, dans la crainte que le jour de la démission ne devînt la veille d’une campagne… » Chateaubriand, le père des romantiques, accorde à l’un de ses fils cette guerre. C’est alors que le jeune officier quitte la garde royale pour entrer dans un corps plus actif. Il est capitaine en premier au 55e régiment d’infanterie, sous les ordres du colonel de Fontanges : il tient la gloire !… Son bataillon ne franchit pas les Pyrénées. M. Ernest Dupuy le trouve à Dax, Oloron, Pau, Bayonne ; et deux fois Vigny est sentinelle au fort d’Urdoz. Ses camarades, les Taylor, d’Houdetot, Cailleux, Gaspard de Pons, en Espagne, se distinguent. Vigny, dans ses garnisons inutiles, trompe l’oisiveté en achevant son poème d’Eloa. Je le compare au jeune Chateaubriand qui, quarante-deux ans plus tôt, partant pour l’armée des princes, avait fourré ensemble dans sa giberne des cartouches et le premier manuscrit