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douloureux spectacle de la guerre étrangère, de l’invasion, elle a vu, dès ses premiers pas, son élan brisé par une déplorable guerre civile. Elle a souffert, elle s’est mûrie dans l’angoisse. Elle a connu les jours sombres du régime « abject, » les injustes proscriptions, une nouvelle révocation de l’édit de Nantes. Elle n’a pourtant point perdu courage. Elle a travaillé dans le silence et dans la tristesse. Elle a continué, prolongé de son mieux l’œuvre de ses devanciers. Comme eux, elle a gardé dans les destinées du pays une invincible confiance. Voici que des jours meilleurs commencent à luire pour elle. Selon une parole qui mérite de devenir historique, « le fifre allemand a sonné le ralliement français. » Cette France qui, il y a quelques années à peine, paraissait minée de pacifisme et d’antipatriotisme, sans fracas, sans provocation inutile, s’est ressaisie, a montré qu’elle voulait vivre. Elle a très simplement accepté, avec entrain, presque joyeusement, à la française, le plus dur sacrifice qu’on pût demander à un peuple, à une démocratie surtout, et dont beaucoup ne la croyaient pas capable. Elle a voulu un chef qui la représentât dignement devant l’étranger, et qui se donnât pour tâche de favoriser, de réconcilier, de rassembler toutes les énergies nationales. En dépit d’éphémères résistances, l’esprit nouveau recommence à souffler sur ce peuple dont, paraît-il, on se partageait déjà les dépouilles. Il anime visiblement toute une jeunesse nouvelle qu’on dit meilleure que la nôtre, douée de plus de volonté, de plus de foi, de plus de vertu. Puisse-t-on dire vrai ! Puisse-t-elle ignorer nos épreuves ! En tout cas, elle nous aura avec elle pour les œuvres d’apaisement, de concorde et de relèvement que, nous aussi, nous avions rêvées ; et elle aura avec elle également tous ceux d’entre nos aînés qui nous ont prêché la confiance et frayé la voie. Et puissent les efforts concertés de ces trois générations unies dans un commun idéal préparer à nos descendans une France moins divisée, plus forte, plus prospère et plus heureuse que celle que nous avons connue, — et que nous avons tant aimée malgré tout !


VICTOR GIRAUD.