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causées par des dogmes étroits et des formules exclusives, l’existence de cette Pitié suprême, on la sent plus que jamais s’affirmer universellement dans les âmes hautes qui s’éclairent à toutes les grandes lueurs nouvelles. De nos jours, il y a bien, c’est vrai, cette lie des demi-intelligences, des quarts d’instruction, que l’actuel régime social fait remonter à la surface et qui, au nom de la science, se rue sans comprendre vers le matérialisme le plus imbécile, mais, dans l’évolution continue, le règne de si pauvres êtres ne marquera qu’un négligeable épisode de marche en arrière. La Pitié suprême vers laquelle se tendent nos mains de désespérés, il faut qu’elle existe, quelque nom qu’on lui donne ; il faut qu’elle soit là, capable d’entendre, au moment des séparations de la mort, notre clameur d’infinie détresse, sans quoi la création, à laquelle on ne peut raisonnablement plus accorder l’inconscience comme excuse, deviendrait une cruauté par trop inadmissible à force d’être odieuse et à force d’être lâche.

Et, de mes pèlerinages sans nombre, les futiles ou les graves, ce faible argument si peu nouveau est encore tout ce que j’ai rapporté qui vaille.


Je ne sais si M. Emile Faguet irait jusque-là. Simple positiviste nourri de Nietzsche, il n’a jamais, ce me semble, abordé bien en face le problème religieux, et il a trouvé le moyen d’écrire un petit livre sur Dieu, sans nous dire avec précision si, oui ou non, il y croyait. Mais qu’il ne soit pas antireligieux, il a publié tout un juste volume pour nous le faire savoir, et qu’il soit très sincèrement respectueux de la religion, de toutes les religions, qu’il ait même pour elles une très active sympathie, une sympathie qui va jusqu’à les défendre quand elles sont persécutées, c’est ce que nous crie son œuvre tout entière. Les « positifs » ont toujours eu dans ce positiviste le plus libre, mais le plus sûr des alliés.


Une sympathie respectueuse et croissante pour la religion en général, et pour le catholicisme en particulier, sympathie allant parfois jusqu’à l’adhésion formelle ; une préoccupation morale très sérieuse, très intense, très réaliste aussi ; une disposition très philosophique à répudier les empiétemens illégitimes de la science, et à la contenir dans ses justes limites ; un libre retour en littérature à notre grande tradition nationale et classique ; un grand désir de justice sociale et d’équité politique dans une France plus forte, plus respectée, plus unie : tel parait bien avoir été le commun idéal intérieur de la génération littéraire dont l’œuvre aujourd’hui s’achève, et qui, déjà, a vu tomber plus d’un des siens dans les sillons qu’elle a tracés. A-t-elle réalisa tout son rêve ? Hélas ! quelle est