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et d’un Loti, d’un Brunetière et d’un France, d’un Vogué et d’un Lemaitre, d’un Rod et d’un Faguet : peindre l’homme complet dans la nature indéfiniment élargie, et tirer de cette étude des observations et des leçons pour la vie : n’est-ce pas à peu près ainsi qu’ils ont tous entendu l’œuvre littéraire ? Il n’y avait pas de conception qui fût alors plus opportune, et plus secrètement conforme à notre grande tradition nationale.


IV

Si cette conception, comme je le crois, implique une philosophie générale, il n’est peut-être pas sans intérêt d’essayer de la dégager. La génération précédente, celle des Renan et des Taine, avait vécu sous l’empire et sous l’obsession, on peut bien dire sous la tyrannie d’une idée unique, et presque d’une idée fixe, celle de la Science. Les merveilleux progrès et les applications indéfinies des sciences positives avaient fait naître dans les âmes les espérances les plus naïves et les plus démesurées. On ne rêvait plus que de naître, de vivre et de mourir scientifiquement. On avait, non pas seulement la religion, mais la superstition de la Science, comme on avait eu, à l’époque de la Renaissance, la religion, et même la superstition de l’Art. Et cette grande conception de la Science enfermait en son sein, couvrait on quelque sorte de son prestige plus d’une fâcheuse équivoque. D’abord, elle impliquait l’idée ou la croyance que la connaissance de type scientifique est le seul mode de connaissance qui soit a la portée de l’homme. Ensuite, elle effaçait arbitrairement la vieille, la nécessaire distinction entre les sciences morales et les sciences de la nature. D’autre part, à ne tenir compte même que de ces dernières, elle décrétait d’autorité la foncière unité de la science, comme si les sciences mathématiques, les sciences physiques, les sciences biologiques n’étaient pas profondément différentes de nature, de méthodes et d’objet. Et enfin, elle habituait les esprits à ne concevoir je ne dis pas seulement la science, mais les choses mêmes que sous les espèces de la mathématique. Sur tous ces points la récente critique des sciences a fait une lumière décisive, et l’on peut dire que la conception de la science qui dominait il y a un demi-siècle est aujourd’hui périmée.

Contre cette conception, que quelques-uns de ses savans et