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possible que certaines pages des Contemporains paraissent un peu vieillies, que d’autres on en pourra extraire, ainsi que des Impressions de théâtre, pour enseigner à nos arrière-petits-enfans de quelle grâce ailée, de quelle fantaisie souriante le bon sens et l’esprit de finesse peuvent être revêtus dans notre clair pays de France ! Et quoique M. Faguet ait déclaré tout récemment, à propos de Brunetière, que tous les critiques, « Sainte-Beuve excepté, » sont voués à l’éternel oubli, nous n’en croirons pas son humilité sur parole, puisque, aussi bien, on lit encore et Quintilien et Boileau. On ne fera pas l’histoire de la critique sans parler de Brunetière et de M. Faguet lui-même. On mentionnera tout au moins la théorie de l’évolution des genres ; on dira que le Roman naturaliste a consommé la « banqueroute » de l’école de Zola ; et quand on comparera le grand livre de Nisard au Manuel de l’histoire de la littérature française, on déclarera sans doute que le premier paraît un peu léger. Et quant à M. Faguet, je crois qu’on lira longtemps son Calvin, son Voltaire et son Buffon, son Chateaubriand, et, sinon tous ses Politiques et moralistes, au moins son Auguste Comte, et cela, pour ne rien dire des nombreuses et fortes pages de « moraliste » que l’on pourra extraire de toute son œuvre à lui, et de celle de son ami Brunetière. Je ne crois pas non plus que, de sitôt, l’on s’abstienne de lire les savoureux Essais de psychologie contemporaine. Quand une génération a produit, avec beaucoup d’autres, les œuvres que je viens de rappeler, elle n’a pas démérité de ceux qui, avant elle, ont eu l’honneur de tenir une plume française.

Je cherche une formule qui me serve à caractériser brièvement, mais avec une suffisante exactitude, le sens général et secret de son effort littéraire, et j’avoue que je ne la trouve pas aisément. Certaines générations, — celle de 1550, par exemple, celle de 1660, celle de 1750, celle de 1850, — sont visiblement associées à une œuvre commune, ont un idéal collectif, parfois même un programme, forment, comme l’on dit, une école, et rien n’est plus simple que de savoir avec précision ce qu’elles ont voulu et ce qu’elles ont fait. Il n’en est pas ainsi pour celle dont nous essayons de dresser le bilan. Soit que les événemens de 1870 eussent dispersé les groupemens juvéniles de la fin de l’Empire, soit que, au lendemain de la guerre les jeunes apprentis écrivains se trouvassent déconcertés, désemparés par les malheurs publics, en quête d’une doctrine d’art et de vie