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s’opposaient à eux ? Et c’est vrai ; mais ce qu’on peut ajouter, c’est que, même en combattant leurs maîtres, ces disciples infidèles leur obéissaient encore : Taine et Renan ont continué à agir sur eux, par leurs contradictions finales plus encore que par leurs affirmations premières, et nos maîtres à nous n’ont jamais pu dépouiller entièrement la tunique de Nessus.


II

Sous toutes ces influences combinées, comment ont-ils posé le problème politique et social ? Nous ne nous étonnerons pas qu’à l’exemple de Renan et de Taine, — et plus encore même que le premier Renan et surtout le premier Taine, — ils en aient été de tout temps anxieusement préoccupés. Primum vivere. Les conditions mêmes, si angoissantes, si douloureusement incertaines, où ils arrivaient à la vie de l’esprit, leur en faisaient un impérieux devoir. Quand la cité est en flammes, quand la patrie menace de s’effondrer sous le talon de l’étranger, une âme bien née ne saurait s’enfermer dans sa tour d’ivoire. Aussi ne l’ont-ils pas fait. Ils étaient d’ailleurs trop jeunes pour agir : mais les uns, — ceux qui l’ont pu, — se sont engagés, ont fait bravement et simplement leur devoir de soldats ; et tous ont longuement réfléchi aux questions d’organisation politique et sociale qui s’agitaient passionnément autour d’eux.

Si sur ces questions d’ordre intérieur ils ont été assez partagés, ils ne l’ont pas été sur la question essentielle, celle de l’attitude extérieure de la France. L’un d’entre eux, il est vrai, a pu médire publiquement de la politique coloniale, railler l’inintelligence de Napoléon, accabler de ses faciles ironies l’armée et nos institutions militaires, célébrer la loi de deux ans comme « une nouveauté bienfaisante, » et développer des théories pacifistes jusque dans la Préface d’une Vie de Jeanne d’Arc : aucun d’eux n’a pu prendre son parti de la défaite et, dans le fond de son cœur, se résigner au traité de Francfort.. Qu’on se rappelle, dans la Préface du Disciple, les émouvantes paroles de M. Bourget « à un jeune homme : » « Nous autres, nous n’avons jamais pu considérer que la paix de 71 eût tout réglé pour toujours… Que je voudrais, savoir si tu penses comme nous ! Que je voudrais être sûr que tu n’es pas prêt à renoncer à ce qui fut le rêve secret, l’espérance consolatrice de chacun de