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rendra méconnaissable. Il fait tant et si bien qu’il est autorisé à venir. Il est à Paris le 13 février. Dans la soirée du même jour, il parvient à s’introduire aux Tuileries, il voit la Reine, et y étant retourné le lendemain, il peut conférer avec le Roi et avec elle. ! Il les presse d’essayer de partir. Le Roi s’y refuse.

— J’ai promis, dit-il, de ne plus cherchera fuir et je resterai. Qu’on m’abandonne à mon sort ; qu’on me laisse agir ainsi que je le juge à propos.

Fersen met alors en avant un autre projet qui consiste à faire sortir de Paris Marie-Antoinette et ses enfans. Mais elle proteste en déclarant qu’elle veut partager jusqu’au bout le sort de son époux et qu’elle ne partira pas sans lui. Fersen fait ses adieux aux souverains, sans avoir pu ébranler leurs résolutions. Le lendemain, il est à Tours, se préparant à retourner à Bruxelles. Mais alors, il est saisi d’un regret, presque d’un remords ; il se reproche de n’avoir pas assez insisté pour convaincre le Roi et la Reine de la nécessité de s’évader. Il revient sur ses pas, rentre dans Paris et, la nuit venue, il revoit ses royaux amis ; il leur adresse de nouveau ses prières ; mais il échoue et s’éloigne la mort dans l’âme en leur promettant de ne plus revenir aux Tuileries où sa présence constitue pour eux et pour lui un danger redoutable. Au moment des derniers adieux, la Reine, qui lui a fait part de ce qui s’était passé entre elle et Barnave, remet entre ses mains, à titre de dépôt, les lettres de son correspondant et les minutes des siennes, et c’est à cette circonstance que nous devons de les connaître aujourd’hui.

Maintenant, les billets qu’il parvient à échanger avec Marie-Antoinette vont devenir poignans. Au lendemain de la dramatique journée du 20 juin, elle en termine un par ces mots : « J’existe encore, mais c’est un miracle ; la journée d’hier a été affreuse. » Le 3 juillet, elle ajoute : « Notre position est affreuse, mais ne vous inquiétez pas trop, je sens du courage et j’ai en moi quelque chose qui me dit que nous serons sauvés. Cette seule idée me soutient. » À ce langage révélateur d’une admirable intrépidité d’âme, Fersen ne peut répondre que par des témoignages de son ardente sollicitude et de son inlassable compassion ; et il en sera ainsi jusqu’à l’heure où les murailles du Temple élèveront entré son amie et lui une barrière infranchissable. Alors, c’est à sa sœur, la comtesse Piper, qu’il crie sa