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procèdent par des insinuations et les produisent comme si elles étaient des preuves ; ils oublient qu’en bonne justice, lorsque le doute existe, l’accusé doit en bénéficier. Les témoignages abondent de leur persistance à conserver cette attitude ; je n’en citerai que deux.

Dans le volumineux recueil des papiers de Fersen, publié en 1878, par son petit-neveu le baron de Klinkowström, se trouvent de nombreuses lettres de Marie-Antoinette, dans quelques-unes desquelles ont été pratiquées des coupures dont les causes nous échappent. Sans méconnaître qu’elles sont regrettables, puisqu’elles ont fourni à la malveillance un argument hostile à la Reine, il convient de faire remarquer que, là où elles ont été pratiquées, on trouverait malaisément à introduire des propos amoureux. Il tombe d’ailleurs sous le sens que si quelques lignes de ces lettres avaient été de nature à démontrer le bien fondé de l’accusation, le petit-neveu de Fersen, au lieu de les mutiler, ne les aurait pas publiées. On n’en a pas moins prétendu, et on le soutient encore, que les passages supprimés constituaient une preuve de la trahison de Marie-Antoinette envers son époux et que c’est pour ce motif qu’ils ont disparu.

Plus récemment encore, une note assez mystérieuse communiquée à l’Intermédiaire des Chercheurs et des Curieux, et dont l’auteur a évité jusqu’à ce jour de se faire connaître, a prétendu qu’il existait à Montréal une copie des lettres de Marie-Antoinette à Fersen, qu’elle était en lieu sûr et que son possesseur se proposait de la léguer à la bibliothèque de cette ville. La note ajoutait qu’une partie de cette correspondance ne pourrait être publiée « par respect pour une mémoire sacrée » et qu’une miniature offerte par la Reine à Fersen ne pourrait être davantage livrée à la publicité ; on ne nous dit pas pourquoi, mais il est aisé de le deviner. Je n’ai pas, quant à moi, ajouté foi à ces allégations, la continuation du système perfide que je dénonce y étant trop apparente. On ne s’expliquerait pas en effet comment et pourquoi le loyal chevalier qu’était Fersen aurait fait établir une copie des lettres dont les originaux étaient restés dans ses mains et l’aurait déposée dans celles d’un tiers, au risque de favoriser la divulgation d’un secret dont il n’était pas seul maître ; son caractère rend absolument invraisemblable une telle supposition. Je n’ai pas moins voulu en avoir le cœur net. Sur ma demande, il a été procédé au Canada, par les hommes