Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 19.djvu/136

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la question de savoir si la tentative à laquelle ils se livraient en commun pouvait aboutir à un, résultat heureux, il y a lieu de reconnaître que la responsabilité de l’échec appartient tout entière aux princes frères du Roi et surtout à l’entourage d’émigrés dont ils subissaient l’influence. Composé en majeure partie d’intrigans et d’incapables, d’imprévoyans et même de fanatiques, cet entourage fut fatal à la monarchie ; par ses illusions, ses bravades, ses menaces, il envoyait à la mort les malheureux souverains. Fersen, qui l’avait vu de près, disait : « C’est un foyer d’intrigues abominables où l’intérêt général est toujours sacrifié à l’intérêt particulier. »

Il serait cependant injuste de méconnaître que l’attitude des émigrés trouvait un encouragement et une sorte de justification dans celle des révolutionnaires de Paris. Tandis que les émigrés se refusaient à obéir aux ordres et aux prières qui leur venaient des Tuileries, tandis qu’ils déclaraient que le Roi et la royauté ne pouvaient et ne devaient être sauvés que par eux, les révolutionnaires travaillaient sans relâche à faire table rase de toutes les institutions du passé et à y substituer, par des mesures de violence et de terreur, un gouvernement de leur choix. Pour que le pouvoir passât dans leurs mains, il fallait que la monarchie disparût ; ils eussent été déçus si elle n’avait pas commis des fautes propres à la rendre impopulaire et, loin de souhaiter qu’elle n’en commît pas, ils les auraient plutôt encouragées dans l’espoir d’en tirer parti au profit de leurs détestables desseins. Il est donc vrai de dire qu’alors même qu’il eût été possible à la Reine de mettre en pratique les conseils de Barnave, il n’est pas certain que la monarchie eût été sauvée ; il est même probable qu’elle ne l’eût pas été, car à l’heure où le jeune constituant avait promis son dévouement à Marie-Antoinette et s’efforçait de le lui prouver, il était déjà trop tard pour qu’on pût raisonnablement espérer le salut de tout ce qui déjà tombait en ruines.

La Reine n’en reste pas moins admirable dans le rôle qu’elle s’impose et dans le suprême effort auquel elle se livre pour favoriser la construction d’un édifice nouveau, solide et durable, où le pouvoir royal dégagé de l’étiquette du droit divin s’épanouira librement pour le bien général, en complet accord avec le pouvoir populaire. Qu’elle ait reconnu trop tardivement que le pouvoir royal ne pouvait plus exister qu’à ce prix, ce n’est pas contestable.