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« Non seulement je sais que le Roi mon beau-frère a sérieusement accepté la Constitution et répugne à tout projet de contre-révolution ; mais, je le sais de source certaine, Vos Altesses le savent aussi, il vous a communiqué ses dispositions véritables par un Mémoire secret qui renferme, sur le parti qu’il a pris, des motifs et des argumens supérieurs à tous ceux qu’on allègue en faveur du contraire. Or, je partage le vœu et l’espoir du Roi de ramener la tranquillité et l’ordre et d’acheminer les amendemens futurs par les voies de la douceur, de la confiance et de l’expérience et je suis convaincu avec ce prince que des mesures violentes, loin de promettre plus d’effet, plongeraient le Roi et sa famille dans un abîme de maux et d’horreurs… Je manquerais à l’objet et au but de ‘mes engagemens en contrariant ses volontés et ses vues et en l’exposant à de nouveaux périls. »

Malgré la sagesse de ces raisons, les princes y restaient insensibles ; ils s’entêtaient dans leur résistance, et accentuaient de jour en jour l’hostilité de leur attitude, allant jusqu’à recruter une armée pour marcher sur Paris dans les rangs des troupes étrangères auxquelles ils espéraient être autorisés à se joindre. Néanmoins, et quoique disposé à croire qu’il ne serait pas obéi, le Roi les suppliait de rentrer, et surtout de ne pas provoquer la guerre à propos de laquelle Marie-Antoinette ne cessait de répéter qu’elle perdrait à jamais la monarchie. « Ni guerre civile seule, disait Louis XVI, ni guerre civile avec la guerre étrangère, ni une régence qui créerait des conflits entre les princes et l’assemblée, mais un Congrès formé des représentans des puissances, appuyé sur des forces importantes, tenant un langage ferme et modéré, déclarant que les souverains ne veulent pas intervenir dans le gouvernement de la France en ce qui ne concerne point les relations de la France avec eux et qu’ils ne veulent traiter qu’avec le Roi et avec lui seul. » Mais tel n’était point l’avis des princes ; ils considéraient ce projet de Congrès, qui d’ailleurs ne devait pas aboutir, comme un témoignage humiliant de pusillanimité et de faiblesse. C’est l’invasion qu’ils voulaient, l’invasion poussée jusqu’à Paris, leur en frayant la route, chassant l’Assemblée, châtiant les rebelles, rétablissant l’ancien régime dans toute sa pureté. Ainsi, entre Coblentz, où ils résidaient, et Paris, où la famille royale était captive, se creusait de plus en plus l’abîme où devait sombrer la royauté.

Marie-Antoinette envisageait dans toute leur gravité les